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LES ETATS-UNIS ET L’AIDE AU DEVELOPPEMENT: une longue histoire dont l’écriture n’est pas encore terminée

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  1. Bref historique de l’aide au développement américaine

Ultra connu en Europe parce qu’il a contribué au redressement des économies touchées par la Seconde guerre mondiale, le Plan Marshall, signé en septembre 1947, marque le début d’une nouvelle stratégie américaine au service du développement de certains pays étrangers (qui sert ses intérêts), via les « foreign aid ».

Ce que les Américains ont baptisé « foreign aid », désigne les fonds, les services ou les biens matériels que les Etats-Unis envoient à un autre pays pour l’aider. L’aide étrangère peut soutenir la croissance économique du pays bénéficiaire, renforcer ses programmes sociaux, répondre à une crise ou améliorer ses capacités de défense. Celle-ci se décline généralement en quatre catégories : l’aide humanitaire, l’aide au développement, l’aide militaire et l’aide économique.

 

Selon le contexte historique, géopolitique, ou économique, l’aide étrangère des Etats-Unis prend une tournure particulière.

Dans le cadre du Plan Marshall, les États-Unis fournissent en 1952, plus de 13 milliards de dollars d’aide à 17 nations européennes, contribuant ainsi à éviter une crise humanitaire et à stimuler la reprise économique. Déjà à cette époque, l’aide étrangère n’était pas considérée comme une forme de charité, puisque le plan a également revigoré l’économie américaine en créant un marché pour les produits américains en Europe occidentale et a favorisé les alliances (13 de ces nations sont membres de l’OTAN). L’objectif était de bâtir un continent européen fort pour servir de rempart à une deuxième puissance menaçante, l’Union soviétique.

En 1961, le président Kennedy signe une loi sur l’assistance étrangère et crée l’USAID   par   décret, ainsi que le « Corps de la Paix » afin de promouvoir davantage les échanges culturels et le développement économique. Entre les années 1970 et 1990, le Congrès déplace le centre d’intérêt de l’aide étrangère pour répondre aux « besoins humains fondamentaux », (production alimentaire, développement rural…), toujours pour contrer le communisme. L’aide humanitaire est la priorité, l’aide au développement, moins.

Avec les attaques du 11 septembre 2001, le terrorisme remplace le communisme dans la psyché américaine et devient la plus grande menace existentielle pour la nation. En conséquence, l’aide au développement se transforme en outil de lutte contre le terrorisme mondial, et s’oriente vers le Moyen-Orient, et plus particulièrement vers l’Irak et l’Afghanistan.

L’arrivée de Trump à la Maison Blanche marque une rupture dans l’histoire de l’aide américaine au développement. En 2018, le président républicain proposait notamment de réduire de 44% le financement des programmes de développement.

L’élection de Joe Biden signifie le retour des Etats-Unis dans le multilatéralisme, mais aussi dans leur projet d’aide au développement. Cela est bien illustré par la nomination, à la tête de l’USAID (Agence internationale des Etats-Unis pour le développement) de Samantha Power, militante de la diplomatie humanitaire et ancienne ambassadrice américaine auprès des Nations Unies.

 

  1. L’aide au développement au cœur du piège de Thucydide

Alors que l’aide étrangère américaine a fait de grands progrès pour mettre fin à la faim et au développement mondial, les tendances historiques nous apprennent que la majorité de l’aide étrangère intervient à la suite de conflits internationaux.

Parce que le monde évolue rapidement, l’aide étrangère des États-Unis doit s’adapter aux nouvelles réalités et effectuer un repositionnement stratégique. Si cette réorientation est partiellement due à l’évolution du paysage économique mondial, la concurrence croissante avec la Chine et la Russie en est le principal moteur.

L’aaffirmation de la Chine sur la scène internationale depuis peu entraîne les mêmes réactions que celles provoquées, à l’époque, par l’Union soviétique. Comme en période de guerre froide, l’aide internationale américaine devient l’occasion de contrer la Chine qui cherche à étendre son influence dans le monde, et surtout dans le monde en développement. Aujourd’hui, les États-Unis se trouvent dans une nouvelle ère de concurrence stratégique, non sans rappeler celle de la guerre froide. Pour autant, le défi est différent ; la Chine d’aujourd’hui n’est pas l’Union soviétique d’hier. Alors que le modèle et les résultats économiques soviétiques n’étaient pas particulièrement attrayants pour les États qui souhaitaient développer leur économie de marché, le modèle et les résultats chinois sont attractifs. La Chine offre une alternative aux principes de la démocratie et du marché libre. Les États-Unis se laissent de plus en plus distancer par la Chine, qui utilise agressivement l’aide étrangère – principalement dans le cadre de son « initiative Belt and Road » – pour obtenir une influence politique, ainsi qu’un accès aux ports et aux infrastructures, dans le monde entier.

Les programmes d’aide étrangère chinois et américain peuvent être comparés en évaluant les données quantitatives des deux pays concernant l’aide publique au développement (APD) et les autres flux officiels (OOF). Selon le projet AidData (2019) du College of William and Mary, qui suit les programmes de subventions de 2000 à 2014, les engagements totaux de la Chine en matière d’APD et d’OOF étaient évalués à 2,6 milliards USD en 2000. Ces engagements ont ensuite explosé pour atteindre 37,3 milliards USD en 2014. Les États-Unis, en revanche, avaient enregistré une valeur absolue totale plus élevée des engagements officiels d’APD et d’OOF à l’étranger en 2000, de 13,4 milliards USD. En 2014, l’aide totale américaine s’élevait à 29,4 milliards USD. En 2014 déjà, l’aide au développement chinoise supplantait l’aide américaine.

Par ailleurs, les discours de légitimation des programmes d’aide chinois et américains sont également différents. Alors que Washington justifie son aide interventionniste en présentant l’économie de marché, la gouvernance démocratique et les droits de l’homme comme des principes quintessentiels du développement, Pékin légitime ses interventions d’aide en mettant en avant la coopération Sud-Sud, l’altruisme non conditionnel et un modèle de développement centré sur l’État. Cet argument, couplé à une volonté de concurrencer le contrôle américain sur les organisations financières multilatérales, se retrouve dans l’essence des nouvelles banques auxquelles la Chine contribue : la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, et la Nouvelle banque de développement des BRICS (voir annexes 6 et 7). Cette différence notable dans les discours de légitimation se reflète également dans la nature des bénéficiaires de leur aide ; Pékin considère les États comme ses principaux bénéficiaires ; Washington fournit une aide à une grande variété d’États et d’acteurs non étatiques.  Selon un rapport de la Brookings Institution, en 2018, 21% de l’aide publique au développement américaine se dirigeait vers les gouvernements, 34% vers les agences multilatérales, et 20% vers les organisations non gouvernementales (Ingram 2019) (voir annexe 2). Contrairement à l’aide étrangère américaine, qui invoque l’économie de marché, l’aide étrangère chinoise est en écrasante majorité axée sur les États bénéficiaires plutôt que sur la société civile et les organisations non gouvernementales. Comme elle est censée être mutuellement bénéfique au gouvernement chinois et à l’État bénéficiaire, la majeure partie de l’aide est orientée vers l’agriculture, les projets d’infrastructure, les projets de coopération technique, l’éducation et la formation des ressources humaines.

La Chine supplante également les Etats-Unis dans les domaines du commerce et de l’investissement direct étranger. Depuis 2014, les flux d’IDE chinois vers l’Afrique ont dépassé ceux des États-Unis, ces derniers étant en baisse depuis 2010 (voir annexe 3). Les 5 principales destinations africaines des IDE chinois en 2019 étaient la République démocratique du Congo, l’Angola, l’Éthiopie, l’Afrique du Sud et l’île Maurice.

Entre 2015 et 2019, le commerce de l’Afrique avec les Etats-Unis et la Chine est passé (en millions de dollars)

  • pour les exportations
2010 2015 2019
Etats-Unis 70 041 25 928 30 228
Chine 60 265 47 526 78 683

 

  • pour les importations
2010 2015 2019
Etats-Unis 27 380 25 893 25 728
Chine 59 807 155 695 113 050

 

En dix ans, le commerce global de l’Afrique avec les Etats-Unis est passé de 97 milliards de dollars à 56 milliards de dollars, pour la Chine de 56 à 192 milliards de dollars. La Chine est devenue, de loin, la première destination des produits africains, principalement pétrole et matières premières.

Entre 2015 et 2019, les investissements directs étrangers ont évolué comme suit, en milliards de dollars :

Etats-Unis Chine
2015 52 35
2019 43 44

 

Si les États-Unis ne peuvent pas égaler les investissements de la Chine, dollar pour dollar, ils disposent de plusieurs options pour répondre à l’influence croissante de la Chine, qui les contraignent à intensifier, et réorienter leur aide au développement.

 

  1. Les Etats-Unis et l’aide au développement : chiffres et orientation géographique

Les Etats-Unis demeurent le premier pays en matière d’aide publique au développement avec plus de 30 milliards de dépenses en 2019, mais quand ces dépenses sont rapportées au PIB, les Etats-Unis se classent loin derrière avec un taux de plus de 0.2%.

Ces dépenses sont principalement assurées par l’USAID (Agence des Etats-Unis pour le développement international), chargée du développement économique et de l’assistance humanitaire dans le monde. Depuis 2021, l’USAID est dirigée par Samantha Power, militante de la diplomatie humanitaire et ancienne ambassadrice américaine auprès des Nations Unies. En 2019, le Département d’Etat, dont les dépenses s’élèvent à plus de 6 milliards de dollars pour financer les objectifs de développement, est le troisième organise à contribuer aux dépenses d’aide au développement.

Depuis 2018, une nouvelle agence est apparue dans le paysage de l’aide au développement américaine. Rattachée à l’USAID, la « Development Finance Corporation », créée en 2018, combine et modernise les fonctions existantes de financement du développement du gouvernement américain, à savoir la Société d’investissement privé à l’étranger (OPIC) et l’Autorité de crédit au développement (DCA) de l’USAID. Dotée de nouvelles ressources et de

nouveaux outils, tels que les prises de participation, l’assistance technique et les études de faisabilité pour répondre de manière plus proactive aux besoins de développement, la DFC évolue selon un modèle qui privilégie le secteur privé. Elle est en capacité de fournir 60 milliards de dollars en prêts, garanties de prêts et assurances aux entreprises américaines engagées dans des activités commerciales, et particulièrement dans des projets d’infrastructure, dans les pays en développement, soit plus du double du plafond de 29 milliards de dollars de l’OPIC. Cette nouvelle agence, dont les fonds correspondent au même montant que celui annoncé par le Président Xi Jinping lors du Sommet sino-africain de 2018, s’efforce de répondre aux défis portés par la nouvelle donne chinoise.

En 2020, la majeure partie de l’aide publique au développement bilatérale des Etats-Unis était orientée vers l’Afrique et l’Asie, régions dans lesquelles la Chine est déjà très présente.

En 2016, l’année où le Bangladesh a rejoint la « Belt and Road Initiative», l’USAID s’est attachée à fournir une aide au développement économique au Bangladesh en s’associant à des banques locales pour accorder des prêts aux agriculteurs à faible revenu afin qu’ils puissent créer leurs entreprises…

L’Afrique occupe également la première place des régions bénéficiaires de l’aide publique multilatérale américaine via les contributions préaffectées destinées aux organisations multilatérales. Ces fonds préaffectés ont considérablement augmenté, tant en termes absolus que relatifs, depuis le début des années 2000 pour tous les pays membres de l’OCDE.

L’augmentation observée depuis 2010 dans ces affectations de fonds des pays de l’OCDE semble en partie attribuable à l’augmentation de l’aide humanitaire en réponse à la guerre civile syrienne et aux crises de réfugiés, d’où la place de l’Afrique dans les premières régions bénéficiaires.

Les pays les moins avancés (PMA) ont reçu 31.7 % de l’APD bilatérale brute des États-Unis (soit 9.7 milliards USD), contre 23.8% pour la moyenne des pays du CAD (voir annexe 4 et 5).

En 2018, les secteurs de l’infrastructures et des services sociaux (qui comprennent notamment l’éducation, les politiques de la santé, le gouvernement et la société civile) a été le premier destinataire des apports d’APD bilatérale des États-Unis. Les investissements dans ce domaine ont représenté 49 % des engagements d’APD bilatérale (soit 15.3 milliards USD).

 

Par le passé, les Etats-Unis ont renforcé leur compétitivité face à des puissances émergentes grâce à de nouveaux programmes d’aide à l’étranger, tels que le plan Marshall et l’USAID. Pour répondre aux nouveaux défis posés par cette nouvelle ère stratégique, les Etats-Unis doivent mettre à jour leur boîte à outils et de repenser leur approche en matière d’aide au développement.

 

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