Date de la brève : 10 mars 2023
La COP 28 se tiendra en décembre prochain à Dubaï. Les Émirats Arabes Unis sont un grand pays pétrolier ce qui n’a manqué de faire froncer les sourcils d’écologistes. Mais, après tout, ne faut-il pas tenir compte des États qui risquent d’être les premiers touchés par l’abandon programmé des énergies fossiles ? Mais, Dubaï est aussi le siège de l’IRENA (International Renewable Energy Agency) qui a été créée en 2010 pour être la plateforme d’échanges, de promotion et de coopération entre pratiquement tous les États sur les énergies nouvelles et renouvelables. L’Agence publie régulièrement des rapports de grande qualité qui donnent une image à haute résolution des avancées des énergies nouvelles et renouvelables, en termes techniques comme financiers.
La FPI avait eu l’occasion en 2022 d’analyser les évolutions de la capacité de génération des énergies nouvelles dans le monde, objet d’un rapport annuel de l’IRENA. (Les énergies renouvelables depuis 2012).
Le dernier rapport sur le financement des énergies renouvelables se révèle tout aussi utile pour se faire une idée des investissements et de leurs modes de financement au regard des besoins de la transition énergétique dans le monde et de l’exécution des engagements pris dans ce domaine par le Nord vis-à-vis du Sud.
D’autant que, dans un peu plus de trois mois, se tiendra à Paris le Sommet sur la nouvelle architecture mondiale proposé à la COP 27 de Charm-el-Cheikh par le Président MACRON. Cette initiative vise à se donner les moyens de mieux répondre à l’insuffisance des moyens financiers mobilisés pour mener la transition climatique. Les engagements internationaux n’ont pas été tenus, les instruments financiers utilisés ne sont pas toujours adaptés et les inégalités mondiales se creusent face aux mêmes défis climatiques.
Le rapport de l’IRENA constitue une contribution importante à ce prochain Sommet en fournissant des éléments chiffrés d’appréciation. Il traite du paysage mondial des énergies renouvelables en mettant l’accent sur la situation préoccupante du Sud, notamment de l’Afrique subsaharienne.
De ce rapport, les trois points suivants peuvent être relevés même si le rapport en comporte d’autres dignes d’intérêt.
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1 – Les investissements pour la transition écologique sont en hausse, mais l’effort reste notablement insuffisant et très concentré, techniquement et géographiquement
2 – Le financement de la transition énergétique s’effectue de plus en plus par la dette, de la dette chère
3 – L’Afrique se trouve largement marginalisée et, d’une certaine manière se trouve de plus en plus pénalisée par des mesures décidées au nom de l’intérêt de la planète mais appliquées sans tenir compte de l’impact sur nos voisins du Sud.
Le rapport révèle un certain nombre d’évolutions positives en 2022 qui vont dans le bon sens.
Les investissements dans les technologies d’énergie de transition ont décollé depuis 2019 pour atteindre 1 308 milliards de dollars en 2022. Malgré leur hausse, ils ne couvrent que 20 % des besoins de financements calculés par l’IRENA (5 686 milliards annuels d’ici 2030 puis 3 096 jusqu’en 2050).
Solaire et éolien dominent la production d’énergie renouvelable (90% des fonds reçus). L’IRENA regrette l’absence d’efforts sur des sources nouvelles d’énergie qui paraissent prometteuses comme l’hydrogène qui n’attire que 0,8 % des investissements.
Pour la production d’énergie, l’écart des investissements entre ceux consacrés au renouvelable et au fossile se réduit. La proportion était de 1 à 5 en 2015, elle est tombée en 2022 de 1 à 2.
L’IRENA demande la réduction rapide des investissements dans les énergies fossiles et évoque spécifiquement le cas de l’Afrique dont les budgets d’exploration en hydrocarbures ont augmenté récemment. Elle demande le report de ces budgets sur les énergies nouvelles.
Le raisonnement est un peu court.
Cette observation doit être relativisée par le fait que l’Amérique du Nord a représenté entre 2015 et 2020 cinq fois les dépenses de l’Afrique dans les énergies fossiles et que même celles de l’Europe leur demeurent supérieures.
Ensuite, le transfert de ces dépenses d’une énergie à l’autre apparaît encore théorique et l’Afrique est habilitée à relever que la croissance des pays occidentaux s’est bâtie sur les énergies fossiles, que pour faire face à la crise du gaz russe, les centrales thermiques produisent à plein. Par ailleurs, les réalisations ne sont pas au rendez-vous des promesses répétées, comme celle faite à Copenhague en 2009 de fournir annuellement 100 milliards de dollars au Sud à partir de 2020. (L’engagement a été tenu à hauteur de 85 milliards, mais l’un des problèmes majeurs pour son utilisation est le manque de projets concrets.)
Le constat est celui d’efforts fournis par les entreprises et les gouvernements mais qui restent loin d’une couverture satisfaisante des besoins globaux et, bien plus encore, de celle des pays du Sud, notamment africains.
Le financement de la transition énergétique, et plus encore climatique, souffre de maux récurrents et qui vont, d’une certaine manière, en s’aggravant : insuffisance des montants, inadéquation des conditions de financement (taux, durée), faiblesse de l’amont et de l’aval des projets, etc.
L’IRENA se livre à une analyse fouillée des modes de financement de la production d’énergie renouvelable. Son constat est clair et tient en quelques chiffres :
– Durant la dernière décennie, 75 % des investissements ont été financés par le secteur privé. Au fur et à mesure que la demande d’énergie est devenue solvable, le secteur privé l’a financée, d’abord par l’investissement propre des entreprises (equity), puis par des prêts des institutions financières une fois que des rentrées régulières pouvaient en assurer le remboursement. Ces prêts représentent, en 2022, 56% du financement privé global contre 23 % dix ans plus tôt. Ils s’effectuent très majoritairement aux taux du marché.
– Le financement des énergies renouvelables est assuré essentiellement (80%) par des ressources financières domestiques, les flux extérieurs étant marginaux. Les Institutions multilatérales apportent 9% des financements publics qui, eux-mêmes, ne représentent que moins d’un tiers des financements totaux.
Au total, les concours multilatéraux et bilatéraux ne constituent que 3 % des financements des énergies renouvelables.
Le paysage mondial est très contrasté avec :
– La montée en puissance de l’Asie Pacifique avec deux tiers des investissements en 2022, dont 53% pour la Chine à elle seule
– Amérique et Europe participent en 2022 chacune à 12 % de l’investissement mondial, ce taux est en baisse continue (21 % et 23 % en 2018)
– L’Afrique avec 60 milliards de dollars pèse 2% des investissements. Elle est la région où la couverture des besoins par les ressources domestiques est la plus faible : 50 % pour 96 % en Asie-Pacifique. Il est noté également que 58 % des financements proviennent de la dette.
Reflet de ces disparités, le ratio dépenses de transition énergétique par habitant est en Afrique, en 2021, 179 fois plus faible qu’aux États-Unis et 127 fois qu’en Europe, écart qui ne cesse de se creuser.
Le rapport de l’IRENA ne couvre qu’une partie des actions nécessaires à la transition climatique, notamment tout ce qui a trait à la réduction des conséquences du réchauffement climatique, indispensables pour les pays du Sud qui produisent peu d’énergie mais sont durement touchées.
La dernière partie du rapport présente des pistes pour augmenter les moyens financiers au service de la transition énergétique du Sud, en posant le postulat qu’il faut faire avec l’existant plutôt que d’espérer que le Nord va amplifier dans les années à venir ses flux financiers en direction du Sud.
Le G20 s’était déjà saisi de cette question à travers notamment les études demandées aux Ministres des Finances et aux Gouverneurs des Banques Centrales. Des groupes de travail ont été constitués pour préparer le Sommet de Paris, qui s’inscrit dans la perspective d’annonces à Dubaï.
De leur côté, les pays du Sud maintiennent la pression pour que la priorité du Nord accordée à la lutte contre le réchauffement de la planète ne relègue pas au second plan l’impératif de développement. L’additionnalité réelle des aides ciblées sur le climat leur apparaît très problématique tandis que les contraintes s’accumulent sur la mise en valeur de leurs ressources énergétiques (plus de financements bancaires pour les énergies fossiles, même le gaz), de leurs exportations (taxe carbone européenne et mesures pour la préservation de la forêt). Les idées d’allègement des critères de prêts des institutions multilatérales (acceptation de la dégradation de la notation pour certains prêts plus risqués) sont discutées car elles suppléent l’absence d’effort de capitalisation de ces banques de développement, et risquent de renchérir des coûts que la situation de la dette rend déjà difficilement supportable.
Le rapport de l’IRENA na ne manquera pas d’alimenter le débat en cours.
Serge DEGALLLAIX
Ancien Ambassadeur
Pour aller plus loin:
Nouvelles d’Afrique : « COP27 : Evitons de nous tromper de priorités ! »
REPLAY : « La COP 27 : Quels enjeux pour l’Afrique ? Quel rôle pour le secteur privé ? »
Serge DEGALLAIX, Ancien Ambassadeur
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