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Colloque France Chine avec l’Institut ASPEN France

9 juin 2023

Note de synthèse du colloque France-Chine du 17 mai 2023

La Fondation Prospective & Innovation était heureuse de s’associer à l‘Institut ASPEN France pour accueillir le Center for China and Globalization à un colloque Europe Chine.

Du côté de la FPI, Jean-Pierre RAFFARIN, ancien Premier ministre et Président de la FPI, Jean-François COPE, ancien Ministre, Maire de Meaux, et Administrateur de la FPI, Emmanuelle PERES, Directrice Générale de la FPI, Joachim BITTERLICH, ancien Ambassadeur, Jean BIZET, ancien Sénateur, Jean-René PAVET, Conseiller du Président de JADE et Etienne GIROS, Président du CIAN, ont été associés aux échanges. Nous les remercions pour leur participation.

Cette rencontre, en format restreint, fut l’occasion pour les participants d’échanger sur la relation entre l’Europe et la Chine, ainsi que sur les moyens à mettre en œuvre pour améliorer leur coopération face aux problématiques d’ordre mondial. Le Center for China and Globalization a mis en avant l’importance de construire un nouveau lieu de dialogue, un G4 qui réunirait les Etats-Unis, la Chine, l’Union Européenne et le « Sud Global ».

 

Note de Présentation

Le monde est au cœur d’une « polycrise » ou d’une « permacrise » globale, de l’invasion russe de l’Ukraine au réchauffement climatique, de la pandémie de la Covid à la crise de la dette qui menace les pays en développement, du retour de l’inflation aux tensions entre les civilisations et les visions du monde, avec des valeurs et des principes universels sérieusement remis en question.
Le (dés)ordre mondial est en train de se remodeler rapidement et profondément, les alliances traditionnelles se désagrègent et prennent de nouvelles formes. Les menaces et les défis mondiaux s’accumulent tandis que le multilatéralisme et la coopération internationale sont affaiblis et parfois paralysés, créant ainsi un vide pour la résolution des problèmes mondiaux.

– Nous dirigeons-nous vers une nouvelle division du monde et le retour d’un monde bipolaire avec les États-Unis d’un côté, la Chine de l’autre, et leurs alliés respectifs penchant d’un côté ou de l’autre ?
– Cette situation est-elle inévitable ? Quelles sont les alternatives possibles ?
– Quel rôle pour l’Europe ? Quelles perspectives pour l’émergence d’un Sud global ?
– Y a-t-il encore de la place pour la coopération et la confiance ? dans quels secteurs ? Peut-on (ré)imaginer un universalisme inclusif et égalitaire ?

Telles sont certaines des questions qui étaient abordées lors de la première édition du colloque Europe-Chine organisé par l’Institut Aspen France et le Centre pour la Chine et la Mondialisation en partenariat avec la Fondation Prospective et Innovation. Le symposium réunit un groupe de décideurs politiques, d’experts, et de chefs d’entreprise influents d’Europe et de Chine.

 



Déjeuner géopolitique

M. Jean-Pierre Raffarin, Président de la FPI (Fondation Prospective & Innovation), a fait un discours d’ouverture sur le contexte géopolitique actuel, une période difficile qui fait de ce colloque une bonne occasion d’échanger des idées. L’Europe est témoin d’une guerre sur son propre continent : une tragédie, d’abord pour le peuple ukrainien, ensuite pour les peuples de l’UE, car de nouveaux sujets de division apparaissent. L’OTAN, qui semblait morte avant la guerre, a retrouvé sa position d’acteur géopolitique majeur. À bien des égards, l’Europe a besoin de la Chine. Pour toutes ces raisons, nous devons trouver une nouvelle stratégie, tant sur le plan politique que sur le plan économique, et pour cela, engager une discussion avec toutes les parties prenantes.

En tant qu’intervenant invité, M. Henry Huiyao Wang a contextualisé la discussion avant de répondre aux questions des participants. Alors que la guerre pandémique touche à sa fin et que la guerre en Ukraine secoue le monde, nous approchons d’une deuxième guerre froide. Dans un monde de plus en plus multipolaire, la mondialisation est remise en question, ce qui rend les relations sino-européennes d’autant plus importantes.

L’avenir de l’ordre mondial était au cœur des discussions. Beaucoup ont appelé à dépasser la vision bipolaire actuelle du monde comme une opposition entre démocraties et autocraties, soutenant que cette opposition se base sur des valeurs et se concentre sur les différences plutôt que sur ce qui peut nous rassembler. Alors que nous nous dirigeons vers un monde multipolaire, nous avons besoin d’une analyse plus complexe de l’ordre international. Nous devons également surmonter la régionalisation du monde, qui est devenu de plus en plus divisé en blocs de confrontation orientés géopolitiquement (ASEAN, AUKUS, OTAN, OCS, Quad, etc.).

À cette fin, M. Henry Huiyao Wang a suggéré la création d’un « G4 », qui serait davantage axé sur les questions économiques et dépasserait le G20, devenu « trop géopolitique ». Le G4 comprendrait la Chine, l’Union européenne, les États-Unis et les pays du Sud. Bien que la représentation du Sud et la place de la Russie ne soient pas encore définies au sein de cette organisation, M. Wang a laissé entendre que l’UE pourrait jouer un rôle de médiateur, en mobilisant son pouvoir de persuasion pour apaiser les relations entre les États-Unis et la Chine. M. Wang a également mentionné le CPTPP (Comprehensive and Progressive agreement for Trans-Pacific Partnership), qui pourrait être rejoint par la Chine, l’UE et les États-Unis. Comme l’a suggéré un intervenant, il n’est pas certain que le G20 survive au G4.

La guerre en Ukraine a été évoquée car elle a provoqué des troubles importants, obligeant la Chine à adopter une position qui ne peut être « 100% comme les autres pays », comme l’a souligné M. Wang. Même si ses échanges commerciaux avec la Russie ont augmenté de 30 %, la Chine est également confrontée à des conflits frontaliers avec Moscou et affirme ses propres positions géopolitiques. Pékin a clairement défendu la souveraineté et l’intégrité territoriale, et mis en garde contre l’utilisation d’armes nucléaires. Grâce aux dirigeants européens, la Chine a pu mieux comprendre leurs préoccupations et les aider à mettre fin à la guerre par la médiation.

M. Wang a été interrogé sur la question de l’énergie nucléaire – y compris chinoise – et de son contrôle. Il a affirmé que, du point de vue chinois, les États-Unis alimentaient la prolifération nucléaire, comme en témoignent la création d’AUKUS et la vente de sous-marins nucléaires à l’Australie. S’il n’est pas limité par le dialogue et le retour de la Russie et des États-Unis à leurs accords sur la non-prolifération des armes nucléaires, ce renforcement militaire pourrait être très dangereux.

De même, interrogé sur l’usage de la force contre Taïwan et ses conséquences sur la détérioration des relations – y compris les relations économiques que la Chine prétend vouloir renforcer -, M. Wang a répondu que Pékin considère Taïwan comme faisant partie de la Chine. Par conséquent, Pékin considère les visites de hauts fonctionnaires américains sur l’île comme une forme de provocation, à laquelle la Chine se contente de répondre. Selon lui, la Chine souhaite une réunification pacifique qui ne pourra se faire que si les pays étrangers cessent d’interférer et de s’agiter.

La dimension économique des relations sino-européennes a été l’un des principaux sujets de discussion. La Chine est le premier marché d’importation de l’UE et son deuxième partenaire d’exportation. Plutôt qu’un découplage ou une remise en question, la Chine appelle donc à un renforcement des liens économiques. La journaliste Christine Ockrent a évoqué les mesures économiques répressives prises par la Chine ces dernières semaines à l’encontre de nombreux produits minimums viables (PMV) étrangers, ainsi que l’extension de la loi sur la sécurité, qui semblent toutes deux en contradiction avec le désir de renforcer les relations économiques. Une fois de plus, M.Wang a laissé entendre que ces mesures étaient en fait très limitées et que la Chine ne faisait que répondre aux politiques américaines.

Si la nécessité de rétablir la confiance entre l’Europe et la Chine a été reconnue, certains ont fait part de leurs inquiétudes quant à ce qu’ils considèrent comme un changement de ton dans la diplomatie chinoise. Selon M. Wang, les différences culturelles et historiques créent un fossé qui a été creusé par la pandémie, qui a engendré « beaucoup d’erreurs de communication ». La situation est toutefois en train de s’améliorer.

Jean-Pierre Raffarin a conclu la session en insistant sur la nécessité de définir une nouvelle relation entre l’Europe et la Chine. Il a plaidé pour une Europe indépendante, stratégique et politique, qui devrait réussir à être un allié des États-Unis sans être un ennemi de la Chine, et travailler avec les deux pays sur des sujets stratégiques. Nous pouvons également travailler en tant que partenaires pour le développement de l’Afrique, en combinant l’expérience française avec la stratégie chinoise. Autour de sujets qui seront débattus lors des tables rondes suivantes.

 



Colloque Europe-Chine

 

Table ronde 1 : Perspectives sécuritaires et géopolitiques

Dans un monde de plus en plus incertain et ambigu, l’Europe, la Chine et les États-Unis doivent plus que jamais éviter les tensions inutiles. M. Victor Gao a exprimé sa crainte que la bipolarité ne conduise à terme à une escalade et à une guerre. Toutefois, au lieu de la « guerre inévitable » entre la Chine et les États-Unis prophétisée par de nombreuses personnes, il croit en une « paix inévitable » entre les deux pays. « Que la Chine et les États-Unis s’apprécient ou non, ils finiront par devoir s’entendre ». C’est d’autant plus important que, comme le souligne Jean-François Copé, nous entrons dans une nouvelle ère où tous les acteurs seront nécessaires.
Pour cela, les Européens doivent discuter de la stratégie qu’ils souhaitent collectivement et créer un véritable dialogue avec la Chine. Il a été suggéré qu’ils pourraient jouer un rôle clé dans la médiation des relations entre les États-Unis et la Chine en utilisant le « soft power » de l’UE, éventuellement dans le cadre d’un sommet UE-USA-Chine. L’UE et la Chine pourraient également coopérer sur des questions spécifiques telles que l’Ukraine ou le changement climatique, en tenant compte de leurs intérêts stratégiques communs. Il est important qu’elles travaillent ensemble sur un pied d’égalité dans plusieurs domaines tels que l’investissement, le commerce et la sécurité.
Même s’ils ne partagent pas les mêmes points de vue sur le plan intérieur, les participants ont convenu qu’un choc des valeurs serait contre-productif : Jean-Christophe Bas a souligné l’importance de respecter la diversité des cultures et d’adopter une perspective hybride. Il a appelé à « la création d’une initiative indépendante et véritablement mondiale pour (ré)inventer l’universel, pour définir un nouveau contrat mondial pour le 21ème siècle ». M. Joachim Bitterlich a insisté sur le fait que si les Européens doivent cesser de s’arc-bouter sur leurs valeurs, la Chine pourrait gagner en crédibilité internationale en adoptant une politique différente à l’égard de Taïwan. Il y a un réel besoin de sortir des sentiers battus, ce qui peut être fait grâce aux organisations respectives des participants. Comme l’a souligné M. Bo Xu, l’échelle « people to people » ne doit pas être sous-estimée.

 

Table ronde 2 : Échanges économiques et commerciaux

Un consensus s’est dégagé sur le fait que l’Europe et la Chine ne peuvent pas se découpler, ni même « dérisquer ». Le commerce est, par nature, une prise de risque et les entreprises européennes ne peuvent pas cesser de faire des affaires avec la Chine. M. Arnaud Favry a souligné que les liens économiques entre l’UE et la Chine ont toujours été une sorte de bouée de sauvetage, même lorsque les relations étaient compliquées par des questions politiques et géopolitiques. Ils sont également source de prospérité. Le « dérisquage » serait synonyme de méfiance, alors qu’au contraire, nous devrions travailler ensemble pour faire évoluer les opinions. Mme Mabel Miao, pour qui le découplage est le vrai risque, plaide même pour un « recouplage » : trouver une plateforme commune et avancer ensemble sur des sujets précis. Cette idée a été soutenue par M. Victor Gao, qui considère que le préfixe « de » semble passif, alors qu’il faut construire quelque chose de manière proactive dans un monde qui change. Il a été suggéré que nous devrions travailler ensemble, faire des affaires ensemble, pour devenir des partenaires plus proches et ainsi être en mesure de résoudre nos divergences politiques.
Cependant, certains ont reconnu que chaque pays a ses propres problèmes de sécurité et sa propre stratégie de « dérisquage » : M. Jean-Marie Le Guen a souligné que malgré tous les avantages du libre-échange, la crise financière de 2008 et la pandémie ont montré aux pays et aux organisations comme l’UE qu’ils devaient défendre leurs intérêts souverains. Il ne s’agit pas de mesures anti-chinoises, mais plutôt de réponses pragmatiques à une crise. En effet, la Chine tente également de diversifier ses importations de pétrole ; ainsi, l’Europe doit éviter de dépendre totalement de l’approvisionnement chinois.
De nombreuses solutions ont émergé, car il a été souligné que les deux parties étaient disposées à trouver des compromis et à comprendre l’autre partie. Certains ont souligné le fait que si les secrétaires américains peinent à parler à Pékin, cette dernière est désireuse de discuter avec les dirigeants européens, comme le prouvent les nombreuses visites d’État qu’ils ont effectuées récemment. Le discours d’Ursula von der Leyen sur la Chine en mars a clarifié la position de l’UE, et l’accord global sur l’investissement pourrait encore être ratifié. Dans le domaine des affaires, M. Jean Bizet a déclaré que les Européens « veulent le libre-échange, mais préfèrent le commerce équitable ». M. Arnaud Favry a suggéré que le nearshoring, moins ciblé sur la Chine, soit préféré au « dérisquage », car il permet de réduire l’empreinte carbone et la dépendance.

 

Table ronde 3 : Réimaginer la coopération

Des idées ont été échangées sur la manière dont la France et la Chine pourraient coopérer sur deux questions pour lesquelles elles ont des intérêts communs : le changement climatique et le développement de l’Afrique. Dans un monde interdépendant, le changement climatique doit être combattu ensemble. Comme l’a souligné Mme Cécile Cabanis : « Nous sommes déjà en train de courir contre le temps, nous ne devrions pas courir les uns contre les autres ». Ce pourrait être l’occasion de tester une véritable coordination des actions à partir de ce qui se passe sur le terrain, montrant ainsi que « la coopération n’est pas qu’un concept ».
L’Afrique pourrait également être un lieu intéressant pour la coopération commerciale, et un moyen de nous sortir de la méfiance et des tensions géopolitiques. M. Étienne Giros a souligné que si la plupart des hommes politiques ne se sentent pas concernés par le sort de ce continent, il s’agit d’une région hautement stratégique. En effet, nous devrons bientôt faire face au défi de l’inclusion de sa population nombreuse, et de ses conséquences sur le climat. Il ne peut devenir le prochain terrain de compétition entre nous, c’est pourquoi nous devons coopérer au nom de nos objectifs communs et non de nos valeurs. Pour ce faire, il a suggéré que les nouveaux venus comme la Chine donnent des signes de confiance aux entreprises françaises en adoptant les mêmes normes, afin que les Français soient moins réticents à coopérer. Certains sont allés jusqu’à dire que l’on pourrait recoupler la Chine et la France en Afrique.

 

Synthèse

Jean-Christophe Bas a clôturé le colloque, qu’il a décrit comme une plateforme de discussion plutôt qu’un lobby ou un groupe d’intérêt. Pour lui, l’idée d’un G4 devra faire l’objet d’un débat plus approfondi, mais il est certain que nous pouvons coopérer sur le changement climatique et les projets de développement en Afrique. Nous entrons dans une nouvelle ère qui nécessite une nouvelle réponse, un mécanisme d’adaptation et une capacité à saisir l’opportunité. Le symposium a prouvé que nous pouvions avoir une discussion intéressante sur ce que nous avons en commun, comment nous pouvons être d’accord et en désaccord ; la question est maintenant de savoir comment nous pouvons construire sur cet élan, en incubant des idées novatrices et créatives à travers un échange d’idées multi-perspectives.

 

Ce rapport a été rédigé par Ines Haab, étudiante-chercheuse à l’IRIS (Institut De Relations Internationales et Strategiques)
Traduit par la Fondation Prospective & Innovation

 

Pour aller plus loin:

Conférences – « EU-CHINA RELATIONS : A NEW START AFTER THE 20TH NATIONAL CONGRESS OF THE CCP? »

Vidéo – « Vers une Stratégie Transatlantique Alternative », Hall GARDNER

Article – LE G7 D’HIROSHIMA (19-20-21 mai 2023)

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