FPI
Publications

La France à l’export – Regards croisés de nos partenaires & concurrents

Date de la conférence : 29 mars 2022

Intervenants

  • Jean-Pierre RAFFARIN, Ancien Premier ministre, Président de la Fondation Prospective et Innovation
  • Krystyna de OBALDIA, Présidente du Club des Exportateurs de France
  • Didier BOULOGNE, Directeur Général Délégué Export de Business France
  • Vincent REINA, Président de la Chambre de Commerce Franco-Arabe
  • Pierre PISTERMAN, CEO de Hydro Power Plant
  • Arnaud LEURENT, Directeur général délégué du Groupe SALVEO
  • Guy MAUGIS, Président de la Chambre franco-allemande de commerce et d’industrie
  • Fabrizio Maria ROMANO, Président d’IREFI (Institut pour les Relations Economiques France-Italie)
  • Serge DEGALLAIX, Ancien ambassadeur, Directeur général de la Fondation Prospective et Innovation
  • Modérateur : Dominique BRUNIN, Directeur, Développement et Relations Extérieures, Chambre de Commerce Franco-Arabe

Compte-rendu du webinaire « La France à l’export – Regards croisés de nos partenaires & concurrents »

La France est le 6e exportateur mondial de biens et de services grâce aux 135.900 entreprises exportatrices qu’elle compte sur son territoire. En 2021, elle a réalisé un total de 758 milliards d’euros d’exportations. Ce chiffre n’est en réalité flatteur qu’en apparence car notre pays connaît une perte de parts de marché quasi ininterrompue depuis 2010 et sa balance commerciale pour les biens a enregistré un déficit historique de 84,7 milliards d’euros en 2021.

Face à un tel constat, le Club des Exportateurs de France et la Fondation Prospective et Innovation ont entrepris d’identifier les forces et faiblesses de notre stratégie d’exportation. Soucieux de réagir, ils ont ensemble décidé de réaliser une analyse approfondie assortie de propositions précises destinées à mieux armer nos entreprises, en particulier les TPE, PME et ETI, dans la compétition internationale. Cette réflexion fera l’objet d’une publication qui sera soumise au gouvernement issu des élections de ces prochaines semaines.

Première étape de ce processus, un webinaire a été organisé le 29 mars 2022 avec pour objet d’interroger nos partenaires et concurrents. Quelle analyse font-ils de notre positionnement international et de ses limites ? Leurs stratégies commerciales respectives sont-elles susceptibles de nous inspirer ? De nouvelles formes de partenariats sont-elles envisageables et sur quels marchés ? L’idée étant de dégager les enseignements qui peuvent être tirés de leurs expériences.

***

Avant de répondre à ces questions, Didier Boulogne, Directeur Général de Business France, s’est attaché à fixer les enjeux. Le déficit abyssal observé pour 2021 est avant tout lié à une augmentation des importations, notamment dopées par le plan de relance consécutif à la crise de la Covid-19. Mais il est vrai qu’au-delà de cet élément de circonstance, il traduit surtout la désindustrialisation de notre pays sur les trente dernières années et le maintien du positionnement de notre appareil productif ainsi réduit sur des produits de moyenne gamme, notamment pour les biens d’équipement. A certains égards, notre effort pour corriger cette situation est secondé par nos partenaires étrangers qui investissent massivement en France, étant entendu que la propension à exporter des entreprises à capitaux étrangers est plus forte que celle des entreprises nationales puisqu’elles contribuent à 30 % de nos exportations. A plus longue échéance deux grandes questions se posent à notre industrie : comment appréhender au mieux la régionalisation des échanges et la sécurisation des chaînes d’approvisionnement et comment inciter nos entreprises à progresser en matière de digitalisation ?

Vincent Reina, Président de la Chambre de Commerce Franco-Arabe, a observé que le déséquilibre de notre commerce extérieur affecte aussi nos relations politiques avec nos partenaires étrangers, notamment d’Europe du Nord, d’Asie ou du Moyen-Orient : il aboutit à fragiliser en fait notre souveraineté et notre indépendance économique. Or nos efforts pour y remédier ne permettront pas de redresser la situation dans le court-moyen terme. Car à la désindustrialisation massive de ces dernières années, s’ajoute notre absence de spécialisation, notre insuffisante compétitivité, les lacunes de notre couverture géographique. Nos savoir-faire sont bien connus et reconnus mais nous butons sur une méconnaissance de certains pays et de leurs pratiques culturelles, une volonté insuffisante de s’adapter aux demandes de nos partenaires, une crainte devant certains marchés, des stéréotypes ou des préjugés, une maîtrise insuffisante de la langue anglaise. A cela s’ajoute la concurrence : concurrence locale qui connaît parfaitement le terrain, concurrence de nos partenaires européens, des pays émergents, de la Chine… Il faut changer notre approche et adopter une approche intégrée. La vente d’un produit doit s’accompagner d’une offre de formation ; il faut nous associer davantage avec les entreprises qui achètent nos produits ; leur proposer une approche partenariale.

Pierre Pisterman, PDG d’Hydro Power Plant (HPP), entreprise spécialisée dans la fourniture de systèmes hydro-électriques de taille moyenne et Arnaud Leurent, du groupe Salvéo, ont apporté leurs témoignages. HPP exporte une large partie de sa production dans des pays réputés difficiles. Elle bénéficie d’un accompagnement qu’elle juge efficace de la BPI, grâce à des outils tels que l’assurance-prospection ou les garanties de projet à l’international, particulièrement bien adaptés. C’est sur les financements que des améliorations pourraient être apportées. Ils existent mais les enveloppes sont trop importantes : elles sont sans doute bien adaptées aux entreprises du CAC 40 mais beaucoup moins aux PME. Arnaud Leurent, de son côté, observe que le développement international s’est beaucoup complexifié ces dernières années (travail à distance entraînant l’obligation de beaucoup digitaliser, de réinventer la manière d’être présent chez nos partenaires, la manière d’approcher de nouveaux clients…). Face à cela, il considère les réseaux publics français comme formant ensemble probablement le meilleur réseau mondial : Business-France, le réseau consulaire, les chambres de commerce, les conseillers du commerce extérieur, toutes institutions qui facilitent l’accès au client et permettent d’entretenir la relation avec lui. La question est donc de savoir comment utiliser au mieux cet atout, comment l’adapter aux besoins de chaque entreprise particulière pour l’accompagner le plus efficacement possible dans son développement international.

Guy Maugis, Président de la Chambre franco-allemande de Commerce et d’Industrie, rappelle le chiffre de l’excédent allemand du commerce extérieur : 173 Mds d’€ en 2021. C’est que l’Allemagne a deux fois plus d’usines que la France. Au fond des choses, les Allemands aiment la technique et aiment leurs entreprises. La culture allemande est composée à la fois d’un appel du large et d’une peur de perdre le contrôle. Ainsi, l’entreprise Bosch, avant même la Première Guerre mondiale, s’est installée en France mais aussi aux États-Unis, au Brésil, en Inde, en Chine. Mais à l’inverse, on ne fait confiance qu’à ce qui est fabriqué en Allemagne. Les constructeurs automobiles ont gardé l’assemblage de leurs véhicules majoritairement en Allemagne et complètement “outsourcé” les pièces mécaniques telles que moteurs et boîtes de vitesse. A l’inverse, les constructeurs français ont plutôt délocalisé les usines d’assemblage et ont conservé sur notre sol la fabrication des moteurs et des mécanismes de transmission. Outre-Rhin, on considère que le « made in Germany » est la meilleure garantie de qualité. C’est lié à une culture technique fondée sur la formation par apprentissage, laquelle est gérée non pas par un système national mais par les Chambres de commerce, ce qui lui donne une capacité à s’adapter très finement aux besoins spécifiques des entreprises. Car les entreprises sont hyper spécialisées, champions mondiaux sur leur créneau. Un exemple parmi tant d’autres, l’entreprise Würtz, a fait l’an dernier 17 Mds d’€ de chiffre d’affaires en fabricant les meilleures vis du monde. Cette excellence dans sa spécialité permet des prix élevés, des investissements en R&D, des investissements commerciaux, le tout avec des entreprises qui se transmettent souvent de père en fils sur plusieurs générations en maintenant les sièges sociaux dans leur région d’origine, ce qui leur permet en prime d’être accompagnées par des banquiers locaux qui les connaissent bien et qui leur font confiance dans les coups durs. A cela s’ajoute que les taxes locales ne sont dues que si l’entreprise est rentable. Les cent quarante Chambres de commerce allemandes sont implantées dans quatre vingt douze pays. Dans chacun d’entre eux, elles offrent des prestations (payantes d’ailleurs) qui permettent aux entreprises de se concentrer sur ce qu’elles savent faire et de déléguer les problèmes juridiques et organisationnels du pays à ceux qui connaissent particulièrement bien le tissu local.

En ce qui concerne l’avenir, les Allemands sont inquiets. Depuis six ans l’excédent commercial ne cesse de diminuer : de 250 Mds d’€ en 2015 à 178 l’an dernier, de 8% à 5% du PIB. Les concurrents, notamment asiatiques et plus particulièrement chinois, sont désormais capables de fabriquer des produits de bonne qualité à des prix nettement inférieurs. Dans l’industrie 4.0, elle craint de se faire détrôner par les États-Unis comme elle l’a été jadis par l’Asie dans l’électronique grand public. Le rachat de Kuka par le Chinois Midea a été très mal vécu Outre-Rhin.

Fabrizio Maria Romano, Président de l’Institut pour les Relations Economiques France-Italie a présenté de son côté le point de vue italien. Pour lui, c’est la composante humaine, culturelle, qui est essentielle. Il faut de la confiance pour faire du business donc se comprendre. L’autre point essentiel, qui caractérise le fonctionnement de l’écosystème italien, est la manière dont les entreprises, comme en Allemagne, se développent localement, souvent sur une base familiale, et sur un créneau très spécialisé. Les « districts industriels » italiens désignent des régions ou sous-régions hyper spécialisées dans un certain secteur : chaises, lunettes, chaussures… En tout, il y en a deux cents, créées par génération spontanée, par les ouvriers, par les propriétaires et leurs enfants, rassemblant les entreprises du même secteur, à la fois concurrentes et alliées, capables de travailler ensemble pour répondre à une demande.

Le fournisseur italien met un point d’honneur à s’adapter à la demande du client. C’est considéré comme un défi qu’il importe de relever. Il ne viendrait à l’idée de personne d’imposer son produit à l’acheteur en lui expliquant qu’il est le meilleur possible. D’où l’importance de l’aspect culturel: de savoir ce qui compte réellement pour le client de façon à définir l’offre qui lui corresponde exactement. Les entreprises françaises ne prêtent pas toujours suffisamment d’attention aux caractéristiques de la demande italienne. Témoin Carrefour qui prétendait vendre en Italie le plateau de fromages à la française alors que ce n’est pas du tout la manière dont les Italiens consomment le fromage. Témoin aussi Picard qui voulait vendre des surgelés en Italie alors que les Italiens n’imaginent pas de se nourrir de surgelés et ne veulent connaître que les produits frais.

Il existe en droit italien un « contrat de réseau » qui permet à plusieurs sociétés de s’associer pour partager les frais de location de bureaux ou d’emploi de personnel. L’Italie fait aussi du “coaching” interculturel pour permettre aux exportateurs de mieux connaître les spécificités des différents marchés.

***

Parmi les questions du public, un des participants s’interroge sur le plan d’investissement d’Intel en Europe. Les pays retenus sont l’Allemagne, puis l’Irlande, puis l’Italie, la Pologne et l’Espagne; la France, quant à elle, n’intéressant la société en question que pour ses capacités en matière de R&D : quelle est donc l’attractivité française en matière manufacturière ?

La priorité donnée à l’Allemagne par Intel s’explique largement par la base industrielle de ce pays, qui est le double de celle de la France. Quand on veut produire des microprocesseurs, très utilisés dans les automobiles et autres machines-outils, on va au plus près du marché. Elle s’explique aussi par la stabilité des relations sociales dans les entreprises, beaucoup plus grande outre-Rhin que chez nous. La France va récupérer le centre de recherche sur les puces et le millier d’emplois qui l’accompagne : ce n’est pas du tout négligeable ; c’est la reconnaissance de nos capacités en matière d’innovation.

Une autre question porte sur l’Allemagne qui ne s’intéresserait à la France que pour mieux dominer le marché européen. En réponse, Guy Maugis explique que l’intérêt que représente la France aux yeux de l’Allemagne est tout naturel : la France est son premier marché. Cet intérêt traduit aussi le besoin qu’éprouve de plus en plus l’Allemagne de trouver de la main d’oeuvre qualifiée, notamment des ingénieurs, dont elle manque de plus en plus. Au surplus, si la force des travailleurs allemands et de leur culture technique réside dans leur esprit de spécialité, la force des ingénieurs français tient à leur esprit de généralisation, à leur capacité à rapprocher des domaines scientifiques et techniques différents et à réaliser des applications qui portent par exemple sur l’entreprise 4.0 ou l’intelligence artificielle. Là, on n’est plus dans la mécanique fine mais dans le rapprochement de compétences diverses et plus larges. C’est d’ailleurs un élément d’explication du développement continu des investissements allemands en France, l’Allemagne étant devenu le premier investisseur étranger dans notre pays.

Invités à proposer des mesures concrètes qui pourraient aider à redresser la situation de notre commerce extérieur, les panélistes suggèrent :

– Faire comme en Allemagne, quand une entreprise traverse un moment difficile et ne réalise pas de bénéfice, les collectivités locales concernées ne lui réclament pas le paiement de la taxe locale;
– Rechercher la plus grande spécialisation possible dans la fabrication de produits ;
– Développer la dimension régionale de nos activités, tant de production que d’échange et s’appuyer davantage sur les régions ;
– Encourager le mouvement en faveur des « start ups » et le généraliser en faveur de l’entreprise et de l’industrie en particulier ;
– Travailler davantage ensemble sur les marchés tiers entre entreprises de différents pays européens dès lors que chacun a souvent ses propres tropismes géographiques ;
– Faire évoluer les mentalités sur l’éducation, sur le travail, sur l’industrie de façon à moins se concentrer sur les services et le conseil ;
– Inciter les entreprises à se positionner davantage sur le haut de gamme ;
– Amener les entreprises à combler très vite leur retard en matière de digitalisation et notamment de e-commerce.

Le commerce extérieur, c’est d’abord une affaire intérieure : faites moi de la bonne politique économique et je vous ferai du bon commerce extérieur. Notre niveau d’excellence en matière de R&D, certes, mais il faut aussi savoir mieux retenir les cerveaux. Le haut de gamme, très bien, mais ne pas oublier que la moitié du commerce international mondial se fait hors OCDE, que les Européens commercent aux deux tiers, voire plus, entre eux. En tout état de cause, la qualité des produits la plus haute possible doit toujours être recherchée sous réserve de l’adaptation au marché. L’essentiel : offrir des solutions intégrées, c’est à dire des produits mais aussi de la maintenance, de la formation et de l’offset.

 

PC

 


 

Pour aller plus loin :

< Retour à la liste

Replay de la conférence

Téléchargement

X