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#Environnement, Multilatéralisme

COP 28 : EST-IL POSSIBLE D’ETRE OPTIMISTE ?

24 novembre 2023

par Paul Derreumaux, Fondateur de Bank of Africa

La Conférence Internationale sur le Climat (COP) de 2022 à Charm El-Cheikh avait laissé au moins trois conclusions amères, que les douze mois écoulés n’ont pas aidé à faire disparaître.  

La première concernait des retards, nombreux et importants, par rapport à beaucoup d’objectifs fixés par les plus grandes puissances économiques pour leur propre lutte contre le dérèglement climatique. Ces décalages se sont encore plutôt accentués. Ainsi, malgré les actions menées, les émissions mondiales de Gaz à Effet de Serre (GES) ont crû de 18% de 2005 à 2020 et ne diminueraient que de 2% en 2030 contre plus de 40% programmés par la COP-21. Des arguments variés sont avancés pour expliquer ces faibles avancées : contraintes conjoncturelles diverses qui perturbent les soutiens étatiques, difficultés de modifier les comportements des consommateurs, réticences politiques en raison d’autres urgences, etc.   

Alors que les politiques publiques de grande ampleur peinent encore à s’imposer, faits et théories se combinent, comme déjà en 2022, pour montrer la gravité et l’imminence du danger. Le Groupe d’Experts sur le Climat (GIEC) et d’autres équipes diffusent périodiquement des analyses concordantes sur la dégradation de la situation. L’augmentation moyenne de la température serait déjà de 1,17 degré depuis 1750, proche du plafond de 1,5 degré retenu en 2015. Des travaux sectoriels soulignent que la biodiversité animale aurait déjà diminué de 50% et continue de décroître, tandis que la fonte des glaces de l’Arctique risque fort d’être beaucoup plus rapide que prévu en produisant des effets dramatiques. La multiplication des événements extrêmes corrobore ces projections. Les périodes alternées de sécheresse et d’inondations se multiplient dans un nombre croissant de régions du monde avec les drames humains qui y sont liés : de la Chine à l’Espagne, du Canada à l’Europe, de l’Afrique de l’Est à l’Amérique du Sud. En France, le paisible Pas-de-Calais a essuyé en 10 jours 4 tempêtes d’intensité historique. A fin septembre, 2023 était l’année la plus chaude jamais mesurée. 

Enfin, la COP-27 a aussi révélé le non-respect par les Etats du Nord de certains engagements, tel celui de financer pour 100 milliards de USD/an les coûts à supporter par les pays en développement dans la lutte contre le dérèglement climatique. Elle a en même temps illustré les difficultés de concrétiser d’autres appuis tel le Fonds « Pertes et dommages » qui, un an plus tard, n’est pas encore mis au point. La solidarité mondiale souvent affichée par les pays riches a ainsi été prise en défaut, et une méfiance clairement exprimée s’est installée chez leurs interlocuteurs des pays en développement. Lors de plusieurs sommets – Paris en juin 2023 et en octobre 2023 par exemple-, des chefs d’Etat, d’Afrique et d’ailleurs, ont rappelé ces attentes déçues et les responsabilités de chacun dans l’origine des dangers climatiques actuels. Ils ont demandé avec fermeté que les stratégies de lutte tiennent compte de leurs besoins et que des réalisations aux impacts visibles s’accélèrent. C’est justement cette volonté de faire et non de dire que revendiquent les leaders d’un Sud Global, dont le poids économique mondial a beaucoup grandi. Cette nouvelle donne offrirait une alternative crédible aux stratégies proposées par les puissances du Nord, mais ses effets sont à démontrer.   

Ces difficultés expliquent le peu d’enthousiasme avec lequel beaucoup abordent la COP-28 et leurs craintes quant aux résultats attendus. Ce combat inédit pour la sauvegarde de la planète serait-il déjà perdu ? Deux indicateurs encourageants pourraient nous redonner espoir.   

D’abord, la prise de conscience de la réalité du dérèglement climatique et de la dégradation de notre environnement, et des périls qu’ils engendrent, a beaucoup grandi dans l’esprit de toutes les générations. L’utilisation accrue de produits recyclés, la lutte anti-gaspi, une moindre consommation d’énergie témoignent de ces changements d’habitude, même s’ils sont encore loin des normes souhaitées. Les impacts des crises économiques et de l’inflation récente ont ajouté des motifs financiers aux arguments écologiques et renforcé au moins provisoirement ces nouveaux comportements. Cette bascule des opinions publiques exerce aussi sur les Etats une pression à agir plus fort et plus vite.  

C’est sans doute du côté des acteurs économiques que les changements sont les plus positifs. Pour les grandes entreprises en particulier, les bons résultats dégagés ces dernières années, la disponibilité de financements peu onéreux jusqu’en 2022, le coup de semonce donné par le Covid-19, les multiples progrès technologiques, et la pression de la compétition ont ensemble conduit à des investissements d’envergure, générateurs d’améliorations notables. Au moins dans les pays les plus développés, de nouvelles technologies aux prix plus abordables créent des produits mieux adaptés, les énergies renouvelables gagnent rapidement du terrain – plus de 20% du total en 2023 en Europe et bien plus dans quelques pays -, les processus de production industrielle sont moins énergivores. Des hypothèses futuristes deviennent plausibles comme l’utilisation de l’hydrogène pour la production d’électricité, qui éviterait toute émission de CO2. Tous les secteurs participent à cette ébullition d’améliorations, de l’industrie pour réduire son empreinte carbone, à l’agriculture pour s’ajuster aux changements climatiques, en passant par le bâtiment grâce à de nouveaux matériaux. Sous l’effet des mêmes contraintes, un nombre croissant de petites entreprises, indépendantes ou sous-traitantes, sont engagées dans ces mêmes transformations. Pour toutes, cette course est une condition de survie.   

Fortes de cette meilleure adhésion des opinions publiques et des mutations opérées au sein des entreprises, les autorités étatiques et internationales, qui tiendront le devant de la scène à Dubaï, pourraient-elles obtenir des résultats plus probants à cette Conférence ? Il faudrait pour cela que trois sentiments animent profondément tous les participants. Le premier, imposé par les faits, est celui de l’urgence. Celui-ci amènerait d’abord à accepter d’adopter des engagements contraignants et non-indicatifs. Il suppose aussi que les efforts annoncés soient plus conséquents, afin de rejoindre dans les délais initiaux des résultats promis de longue date et non respectés jusqu’ici, comme pour les émissions de gaz à effet de serre. Enfin, ces deux exigences ne devront pas conduire à des « effets d’annonce » mais se refléter durablement et au quotidien dans les priorités des politiques globales, en particulier pour les nations les plus développées.  

Le second est celui de la nécessaire mise en cohérence de ces stratégies anti-dérèglement climatique avec d’autres aspects des politiques économiques et sociales, notamment dans les pays avancés. Partout, une plus grande mobilisation doit être obtenue pour que les intérêts particuliers, qu’ils soient personnels, sectoriels, communautaires ou autres, laissent la priorité à l’intérêt général. La récente crise du Covid-19 a montré que ce sursaut était possible, malgré la montée de l’individualisme, lorsque le péril l’exigeait, et que ce choix était le meilleur atout pour emporter la victoire. Cette restructuration comportementale est encore plus indispensable aujourd’hui. La stimuler est une responsabilité politique et elle doit s’appliquer par des canaux imbriqués : l’exemplarité de l’action des administrations et des dirigeants eux-mêmes, l’encouragement mais surtout le contrôle des contributions des entreprises aux objectifs fixés, pour une répartition équitable entre tous les acteurs du coût final des transformations opérées.  

Le dernier est celui du rôle clé de la coopération et de la solidarité internationales. Face à un danger qui ne peut être fractionné ou localisé, la réponse doit être globale. L’initiative des COP adhérait à cette conception, qui doit se réimposer au moins à trois niveaux. Les pays les plus riches auront beaucoup à gagner sur leurs propres territoires s’ils raisonnent d’abord en synergie plutôt qu’en compétition, surtout lorsqu’ils sont regroupés dans des ensembles plus vastes : l’Union Européenne pourrait à cet égard avancer beaucoup plus vite qu’elle ne l’a fait jusqu’ici. Ces mêmes pays ont le devoir de mieux respecter à l’avenir les promesses de soutien financier et technique aux pays économiquement en retard : il y va de leur crédibilité en tous autres domaines. L’imagination de tous peut être suffisamment fertile pour mettre en place sans tarder les moyens, existants ou à créer, d’un contrôle collectif de l’usage de ces appuis consentis. Enfin, les pays en développement eux-mêmes ont à participer à ces efforts. Ainsi, en Afrique, la récente déclaration de Nairobi appelle des actions concrètes : les secteurs névralgiques de l’essor des énergies renouvelables et d’une amélioration multiforme de l’agriculture de subsistance fournissent un terrain propice pour cette démarche.  

Les dirigeants réunis à Dubaï sauront-ils montrer aux yeux du monde qu’ils ont enfin bien apprécié les enjeux et ce qu’ils impliquent. Il leur faudra pour cela faire preuve simultanément d’intelligence et d’audace, mais aussi d’humilité, de sincérité, et de compréhension des autres plus que d’égoïsme. Les crises actuelles de l’Ukraine et de Gaza tendent à montrer que le cumul de ces qualités se fait rare. L’intelligence humaine a prouvé qu’elle était capable du meilleur comme du pire. Face à la toute-puissance de la nature, souhaitons qu’elle réussisse le meilleur.   

 

Paul Derreumaux, Fondateur de Bank of Africa

 

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