Ce ne sont pas des élections ordinaires qui ont eu lieu en Pologne le 15 octobre dernier. Le « Parti Droit et Justice » (PiS) au pouvoir depuis 8 ans organisait méthodiquement le glissement progressif du pays vers un régime qui menaçait de devenir de plus en plus autoritaire. C’en était au point que la Commission européenne avait suspendu le versement des 34 Mds € d’aide à Varsovie au titre du programme « Next Generation EU ». L’enjeu du scrutin dépassait donc largement la politique intérieure polonaise. Il intéressait aussi bien l’avenir de l’idée démocratique sur notre continent que la suite de la construction européenne. La victoire de l’opposition apporte des éléments de réponse très intéressants à ces questions.
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En vérité, les électeurs polonais étaient bien conscients de l’importance toute particulière de la consultation. Les deux coalitions qui s’affrontaient faisaient campagne pour des visions très contrastées de la société. Pour s’assurer la reconduction de son mandat, le PiS et son petit allié d’extrême droite n’avaient pas hésité à mobiliser l’appareil de l’État et inonder le pays d’une propagande lourdement insistante et présentant les projets de l’opposition d’une manière grossièrement mensongère. Le salaire de ces méthodes, déjà éprouvées en Hongrie, paraissait garanti. Aussi bien les sondages donnaient aux « sortants » une légère mais persistante avance. Or, l’opposition l’a emporté et d’une manière indiscutable : avec 53,5 % des voix.
Globalement, la coalition « libérale » conduite par Donald Tusk obtient 11,6 millions de voix, principalement dans l’Ouest du pays et dans les grandes villes. Sur ce total, 6,6 millions reviennent au parti dit « Coalition Civique » et 5 millions à ses deux alliés, l’un de centre droit (« Troisième Voie ») et l’autre de gauche (« Lewica »). En face, la coalition menée par Jaroslaw Kaczynski n’en obtient qu’un peu plus de 9 millions, surtout localisées dans les campagnes de l’Est, ce total se décomposant de manière beaucoup plus contrastée avec un PiS dominant largement, du haut de ses 7,6 millions de voix, et un petit parti d’extrême droite (Konfederacja) qui n’en rassemble que 1,5 millions.
Surtout, la principale explication du scrutin est la spectaculaire poussée de la participation au vote. On peut même dire que la participation est « historique » puisqu’avec 74,25 %, elle dépasse de 10 points celle observée en 1989, lorsque les électeurs polonais avaient renversé le régime communiste. Ce score remarquable s’explique évidemment par la dramatisation des enjeux qui a si fortement marqué la campagne électorale. Elle s’explique aussi par le dynamisme de la société civile polonaise et à sa longue tradition de mobilisation qui remonte au Solidarnosc des années 1980. Elle donne en tout cas un poids particulier, incontestable, au résultat final. Elle rappelle aussi – et c’est l’une des grandes leçons de ces élections – combien lui doit la vitalité de la démocratie. Tous les Polonais, et ils ont été nombreux, notamment chez les femmes et les moins de 30 ans, qui n’ont pas hésité à faire la queue dans le froid pendant des heures entières pour pouvoir apporter leur bulletin dans l’urne, peuvent à juste raison s’en trouver récompensés.
L’autre grande leçon du scrutin polonais tient au rôle que les institutions européennes y ont joué, à leur corps défendant du fait de leur contribution à la force de la démocratie libérale. Certes, tout n’est pas acquis. Le président Duda, pilier du PiS, dont le mandat va durer jusqu’en 2025 avec des pouvoirs constitutionnels importants, peut encore essayer de jouer un jeu de cohabitation chicanier voire paralysant qui rendrait la vie difficile à la coalition victorieuse. D’autre part, à Bratislava, l’élection d’une majorité populiste qui va permettre à l’ancien Premier Ministre slovaque Robert Fico de retrouver son siège montre que les retours en arrière sont toujours possibles et que le populisme, bloqué ici, peut toujours refaire surface ailleurs. Du moins les traités européens comportent-ils un ensemble de règles qui enracinent l’Etat de droit dans notre continent. Elles servent d’utile garde-fou en cas d’écart et comportent une batterie d’incitations et de pénalités qui permettent de limiter les dégâts et d’encourager le retour à la norme. Le cas de la Pologne montre que leur influence n’est pas du tout négligeable.
Philippe COSTE, Ancien Ambassadeur
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