Date de la note : 11 août 2023
L’intérêt principal de cet ouvrage est probablement de souligner la complexité des questions actuelles autour du point de rencontre de l’Occident et de l’Asie, tout principalement de la Chine qui est le vrai berceau de toutes les cultures asiatiques (en dépit de l’islamisation qui sévit aujourd’hui en Malaisie, en Indonésie et ailleurs). L’ascendant spirituel de la Chine y paraît indéniable quoique le bouddhisme tantrique garde aujourd’hui encore sa place dans la République communiste… La Chine, comme l’a souligné en son temps Marcel Proust, reste un pays de sectes et de recettes de sainteté, tout en étant… laïques et naturalistes.
En Chine, le concept de nation résulte de la singularité propre à la langue chinoise, la dernière d’inspiration pictographique encore vivante. L’écriture idéogrammatique y constitue le liant même de l’idée de nation, alors qu’effectivement, comme le souligne très justement l’auteur, cette même idée, en Occident, est le pendant d’une construction plutôt civique. D’après l’auteur de notre ouvrage, une nation est en Occident « une somme avant tout, une histoire imaginée, construite, entretenue, possédant une valeur protectrice ». Quant aux aspirations actuelles à la liberté autour du bassin méditerranéen, elles ne peuvent, en dépit de leur apparence de modernité, être si facilement dissociées des postures fondatrices qui constituent le socle des différentes cultures méditerranéennes. Mais ceci est une autre affaire.
Pour en revenir à notre objet, s’il reste difficile de déterminer quelle influence exercèrent les écritures (alphabet ou idéogrammes) dans la constitution des différents fonds cosmologiques, on voit bien en revanche l’importance du rôle qu’elles y tiennent encore aujourd’hui.
Ces différents projets de société, à l’œuvre en Chine et en Occident, offrent dans leur rapport aux valeurs « passées », matière à controverse. L’efficacité de la pensée chinoise réside en ce qu’elle se fonde sur un système d’interprétation de la réalité qui reste ouvert et s’appuie, dans une même impulsion, sur une permanence dont résultent des enchaînements d’opérations mutantes. En revanche pour ce qui concerne la ressemblance présumée des quatre assises du conformisme -complaisance, identification, intériorisation, soumission à l’autorité – avec la doctrine de l’église, il serait judicieux d’aller regarder de plus près les entretiens de Confucius, qui avant d’être moraliste, reste un amoureux de la sagesse, un philosophe à l’instar de notre cher Montaigne. Il convient de se garder en outre des rapprochements artificiels (qui s’effectuent au détriment des spécificités culturelles), induits par les pères jésuites à la fin du 19ème siècle. En effet, si ces derniers se sont plus volontiers attachés à la doctrine de Confucius, c’est parce qu’elle leur paraissait moins occulte que celle de Laozi. Il est évidemment plus facile d’entrer dans la peau d’un confucéen que dans celle d’un Taoïsme. Le Taoïsme reste cependant une pensée de retrait essentielle, l’une des tendances parmi les plus profondes de la pensée chinoise s’y exprimant. De ce fait, si le nationalisme peut s’apparenter à une posture de principe, il n’en est pas moins nécessaire. Un Français ne sera jamais chinois, ni un chinois français : même si l’on n’éprouve admiration et respect pour la civilisation chinoise, on ne s’y plonge que pour lui emprunter ce qui intéresse le renouvellement de notre propre culture.
Ainsi, la dimension universaliste de la pensée aurait encore une fois avantage à être considérée comme un impératif catégorique (en opposition à l’exacerbation des spécificités culturelles qui conduisent si facilement aux conflits guerriers) plutôt que comme un moyen d’uniformisation nécessaire. L’acceptation et la reconnaissance des différences sont toujours difficiles, mais elles sont les seules voies qui importent. La diplomatie n’a d’ailleurs pas d’autre sens que celui de maintenir cet état de fait à partir duquel un échange pacifique et civilisé est rendu possible. Bien connaître la culture d’un pays est la clé pour s’y montrer efficace. Nulle conquête n’est possible en Chine sans humilité, ni sans compréhension de cette tournure d’esprit qui occupe là-bas le premier plan. L’humilité chinoise doit être considérée sous un aspect non pas moral mais pragmatique, en tant qu’expression d’une recherche d’efficacité. Si la Chine est par excellence le continent de l’écriture, elle est aussi celui de l’ambiguïté. La recherche de « l’invariable milieu » – et donc de l’efficacité absolue – ne s’effectue pas à travers l’application d’une méthode mais bien dans la recherche permanente du « bon endroit au bon moment », et il n’y a sans doute rien de plus ambigu ni de plus complexe que la recherche de cet équilibre. En résumé on ne peut participer au processus de l’efficacité à la façon des Chinois, sans devenir soi-même un peu chinois.
Beaucoup d’occidentaux ont du mal à comprendre comment la Chine a pu passer aussi vite du collectivisme à une forme de néo-capitalisme en contradiction apparente avec l’appareil politique. Cela relève d’une méconnaissance des fondamentaux. Que les Chinois aient changé de posture ne signifie en rien qu’ils aient renié leurs traditions, bien au contraire. Ils sont en réalité devenus plus impérialistes que jamais et absolument convaincus que leur civilisation représente un modèle indépassable. Et c’est sous cet aspect-là que s’exprime avec le plus de force leur nationalisme. Concernant pour finir les « valeurs de l’universalité », il semble encore une fois qu’il y aurait avantage à les poser comme un impératif catégorique sans mésestimer les malentendus possibles qui peuvent persister entre nos deux civilisations.
Quitte à paraître frileux en matière de progrès humanitaire et culturel, on ne croit guère à l’établissement
d’un référent commun aux différentes cultures autrement qu’au prix d’échanges réels et bien conduits par l’économie et la paix, et dans le respect des principes culturels qui président aux idiomes spécifiques des deux entités.
Tout reste donc à faire de part et d’autre, mais dans la plus grande clarté. Or la clarté ne vient jamais que progressivement et aux prix d’efforts considérables.
Pour aller plus loin:
Livre : Culture nationale et universalisme
Olivier CAZENAVE, Vice-Président Délégué de la FPI
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