Date de la note : 03 décembre 2021
Ali Laïdi, « Le droit, nouvelle arme de guerre économique. Comment les Etats-Unis déstabilisent les entreprises européennes », Actes Sud, février 2019
Ali Laïdi suit les questions de l’extraterritorialité des lois depuis près de 20 ans. Pour lui, le monde vit en état de guerre économique et la loi est une arme de destruction de la concurrence étrangère des adversaires géopolitiques.
Dès 2004, il s’est attaqué à révéler les secrets de la guerre économique et depuis les publications se sont succédées pour exposer et mettre en garde contre les illusions du « doux commerce » et des bienfaits du libre-échange.
L’ouvrage publié en 2019, Le droit, nouvelle arme de guerre économique, est consacré aux « mesures unilatérales de contrainte économique » imposées par les Etats-Unis. Mesures unilatérales et non sanctions car elles n’ont généralement pas été approuvées par une institution internationale comme les Nations Unies ou l’OMC.
Le principe de l’extraterritorialité des lois est véritablement initié sous la présidence de Jimmy Carter à l’occasion de la loi Foreign Corrupt Pratices Act (FPCA), votée en décembre 1977, qui punit toute entreprise coupable de corruption d’agent public étranger.
L’utilisation d’un moyen de paiement d’une messagerie électronique, postale naguère, dont le serveur est aux Etats-Unis suffit pour faire tomber sous le coup de la loi américaine des sociétés étrangères pour des affaires qui ne concernent nullement les Etats-Unis.
En réaction à la FPCA, les entreprises américaines se sont plaintes de ne pas pouvoir lutter à armes égales avec leurs concurrents étrangers qui ne subissaient pas les mêmes interdictions. Après avoir essayé d’assouplir la loi sans succès, l’extension de la loi à tous est entérinée grâce à la puissance de persuasion américaine à l’OCDE.
En 1997, vingt ans plus tard, l’OCDE recopie en effet pratiquement à l’identique la loi américaine.
En 1996, la loi Helms-Burton, du nom de deux parlementaires républicains, étend aux entreprises étrangères l’obligation de sanctionner Cuba, de le boycotter, ce que font les Etats-Unis depuis 1962 avec, près de soixante ans après, le succès que l’on sait. Mais, il s’agit de ne pas mécontenter les Américains d’origine cubaine, qui votent majoritairement pour le Parti Républicain.
La même année, la loi dite d’Amato-Kennedy, place en quarantaine l’Iran et la Libye. Ceux qui se risquent à commercer avec ces Etats encourent la mort économique car l’OFAC, le bras armé du trésor américain, veille à non seulement fermer le marché américain aux contrevenants mais également aux entreprises qui entretiendraient des relations d’affaires avec les sociétés incriminées.
Le droit international public n’interdit pas l’application internationale d’une loi nationale, sous réserve de conditions et sans en abuser, sous le contrôle des tribunaux internationaux.
Pour Ali Laïdi, c’est le recours à la loi nationale pour promouvoir les intérêts américains de manière déséquilibrée qui fait de l’extraterritorialité une arme de guerre attentatoire à la souveraineté des autres Etats, à la sécurité juridique dont ont besoin les entreprises et à la compétition égale avec les entreprises non américaines.
Les lois américaines porteuses d’extraterritorialité ont suscité dès leur adoption condamnations et résistances. Des contre-mesures ont été prises. Mais, sans guère de succès durables.
Un Règlement européen interdit en novembre 1996 aux entreprises européennes de se plier aux injonctions américaines, sauf autorisation. C’est le principe du blocage de l’information à fournir aux instances européennes, sauf par voie judiciaire.
L’affaire est portée devant l’OMC mais un artifice permet à l’Europe de sauver (très peu) les apparences car la division de l’Europe fait le jeu des Américains qui ne tarderont pas à sanctionner les entreprises américaines au nom de leurs lois. Pernod Ricard est condamnée pour vendre du rhum cubain, ce qui fait le jeu de l’américain Bacardi qui affaiblit ainsi un concurrent.
Après ces deux premières lois extraterritoriales, d’autres se multiplient au gré des circonstances. Les entreprises européennes sont durement frappées avec plus de 20 milliards d’amendes, dont 8 milliards pour la seule BNP.
La loi Sapin 2 vise à démontrer que la France peut punir elle-même les entreprises françaises (et les filiales des entreprises étrangères en France), permettant ainsi d’échapper aux juridictions américaines et donc de limiter l’hémorragie financière au profit de Washington en faisant verser le produit des amendes au Trésor français. Ce faisant, la loi française s’américanise dans les procédures en favorisant la transaction et non plus l’instruction du délit par le juge. Le partage des amendes se révèle également inégal.
De manière détaillée, Ali Laïdi retrace les nombreuses attaques qui, au nom du droit, ont affaibli les entreprises françaises, les ont fait passer sous pavillon américain, comme le Français Alstom, qui, accusé de corruption, est menacé d’une amende de 1 milliard de dollars et finit par vendre son entreprise à l’Américain General Electric. D’autres entreprises, du fait des sanctions américaines, finissent par disparaître. Dans ce cadre, l’auteur mentionne l’entreprise Alcatel qui passe de géant mondial des équipements électroniques et leader mondial sur les marchés des réseaux optiques, des accès DSL et des routeurs dans les années 80 à être radiée de la bourse parisienne en 2015 après avoir été condamnée à une amende s’élevant à 137 millions de dollars au DOJ et à la SEC pour faits de corruption.
Ali Laïdi, s’intéresse également au cas de Siemens, qu’il décrit comme étant un « tournant de la diplomatie juridique américaine ». Alors que les juridictions allemandes enquêtent sur les faits de corruption visant Siemens, le DOJ se saisit également de l’affaire bien que les faits en question ne concernent en rien le territoire américain. Les Américains justifient leurs poursuites par le fait que certains versements suspects de corruption ont transité par des comptes bancaires sur son territoire et que l’entreprise a enregistré des certificats de ses actions auprès de l’autorité boursière, la SEC, afin d’être cotée sur le marché américain. L’entreprise finit par être doublement condamnée par la justice allemande (596 millions d’euros) et par la justice américaine (450 millions pour le DOJ, 350 millions pour la SEC).
A côté de la loi, l’espionnage joue également son rôle, comme l’ont rappelé les révélations d’Edward Snowden. Il vide de son sens la protection des données personnelles dès lors qu’elles sont traitées dans des serveurs américains. (Cloud Act)
Il s’agit donc d’une confusion généralisée des guerres chez les Américains qui mélangent bons sentiments (lutte contre le terrorisme, la corruption, les distorsions de concurrence), intérêts des entreprises américaines et affirmation d’une suprématie de leur politique étrangère sur toute autre.
En réaction à cette situation que pourtant bien peu approuvent, la résignation paraît de mise ou en tout cas, les efforts de résistances sont faibles et les résultats insuffisants.
Ali Laïdi en appelle à la fin des illusions, à la croyance naïve que l’accommodement paie et qu’au droit de la force succède la force du droit.
Achevé en décembre 2018, Ali Laïdi présentait l’Iran comme un test pour ce changement d’attitude des partenaires de Washington face au comportement unilatéral et menaçant américain. Trois ans après, il est difficile d’être rassuré sur la capacité de résistance de l’Europe comme le démontre le dernier livre d’Ali Laïdi, Les batailles du commerce mondial : penser la guerre économique avec et contre Michel Foucault (voir note de lecture par ailleurs).
Pour aller plus loin, regarder également notre webinaire « Les PME face à l’extraterritorialité des lois »
Serge DEGALLAIX, Directeur général, Fondation Prospective et Innovation
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