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« Leadership and the rise of great powers »

Date de la note : 10 septembre 2021

YAN Xuetong,« Leadership and the rise of great powers », Princeton University Press, 9 avril 2019

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Le Doyen YAN Xuetong dirige la Faculté des relations internationales de la prestigieuse université Tsinghua de Pékin qui a formé de nombreux dirigeants chinois, dont le Président Xi Jinping. Il est considéré comme un des meilleurs experts mondiaux dans son domaine et ce qu’il écrit est frappé non seulement au coin de l’expertise mais aussi de l’environnement politique dans lequel il évolue et dont il doit tenir compte dans les idées exprimées. D’où l’intérêt de lire son livre en ayant à l’esprit qu’il va bien au-delà d’un ouvrage universitaire, sans être un ouvrage de propagande, ce qui lui ferait perdre tout crédit alors que le Professeur YAN entend faire œuvre scientifique et justifier ainsi ses prédictions sur les grands changements géopolitiques qui vont traverser le monde durant la décennie qui s’ouvre.

Pour lui, le réalisme doit prévaloir et le moralisme affiché peut être un élément d’une approche réaliste mais les États poursuivent leurs seuls intérêts, en fonction de leur puissance relative qui les place au niveau sous-régional, régional ou mondial. C’est la puissance dominante qui modèle l’ordre mondial selon ses intérêts propres, établit des règles, des institutions et des normes conformes à ces intérêts. L’ordre mondial résulte d’une distribution du pouvoir et toute modification de celle-ci entraîne des conséquences sur celui-là donc.

Pour tenir son rang, le leadership est essentiel. Leadership national grâce à un consensus partagé avec la population, leadership sur la scène internationale par un rapport de forces favorable, avers et revers d’une même médaille car il faut être fort à l’intérieur pour l’être à l’extérieur. Le leadership tient avant tout à la capacité d’un individu qui sait s’entourer, se montrer capable de mener avec efficacité les réformes indispensables à l’adaptation aux changements.

L’essentiel des relations internationales, de la marche du monde, réside dans la rivalité qui ne peut manquer d’exister entre la puissance dominante et la puissance montante.

YAN Xuetong s’interroge sur les raisons qui font qu’une nation monte, prend de l’ascendant tandis que celle qui était au firmament de la puissance est contestée puis rétrogradée.

Bien sûr, l’interrogation porte sur les conditions de la rivalité en cours entre les Etats-Unis et la Chine. Ce sont les deux seules puissances qui comptent.

L’Inde ne peut être aujourd’hui une puissance mondiale, elle n’en a ni les moyens, ni la volonté ou même le goût. Sa puissance se situe au niveau sous-régional, de son environnement immédiat, de l’Asie du Sud. L’Europe peut situer son ambition à un niveau supérieur et peut vouloir exister davantage mais il faudrait qu’elle ait les moyens de son ambition, ce qui n’est pas le cas.

Pourquoi, la Chine, un pays dont on prédisait l’échec car dictatorial, bridant l’initiative et la liberté d’expression, donc incapable d’innover, de mobiliser les énergies créatives, a-t-elle pu se hisser rapidement au second rang mondial et pouvoir prétendre, à l’horizon d’une décennie, accéder au premier ?

La première réponse tient naturellement aux faiblesses propres des États-Unis. En six mois, les débuts de sa présidence, Donald Trump a réussi à dégrader dramatiquement l’image des États-Unis, à s’aliéner amis et alliés, en Asie comme en Europe.

Washington a ébranlé sa crédibilité stratégique par ses échecs au Vietnam il y a 45 ans (et en Afghanistan aujourd’hui), ses mensonges en Irak et l’abandon – aussi critiquables soient-ils – de ses alliés du monde arabe. La crise des sub-primes est là aussi pour rappeler les carences d’un système économique qui peut faire chavirer le reste du monde.

Pour l’auteur, la puissance est une chose et les États-Unis demeurent incontestablement la première puissance mais l’autorité, la faculté à se faire respecter autrement que par la force en est une tout autre. Question de leadership qui semble échapper à une Amérique divisée, qui doute d’elle-même et fait douter ses alliés.

Le libéralisme, qui prévaut actuellement, est dû à la victoire remportée par les États-Unis sur l’Union Soviétique mais il perd sa force en perdant sa crédibilité.

Le système libéral se révèle en effet incapable de résoudre les grands défis auxquels l’humanité est confrontée. La croissance ralentit en Occident tandis que son modèle ne donne guère de résultats dans les pays en développement qui le suivent. A cela s’ajoute la duplicité des politiques étrangères où l’on épargne les amis ou les puissances « utiles », même si leur comportement n’est pas meilleur que celui des ennemis désignés.

Ce n’est pas pour autant que le libéralisme va disparaître car aucun autre système de valeurs ne paraît en mesure de le remplacer.

Certes, la Chine entend exercer son soft power et affiche maintenant l’ambition de retrouver son rang sur la scène mondiale. Elle seule dispose de la force économique et géopolitique nécessaire pour succéder à l’Amérique mais elle n’est pas en mesure de le faire actuellement pour l’idéologie, faute d’un accord interne sur les valeurs principales et la possibilité d’y faire souscrire massivement les autres pays. Marxisme, libéralisme, traditionalisme et pragmatisme économique se disputent en Chine la prééminence, se contredisent, sans qu’une de ces valeurs l’emporte.

Cette remarque de YAN Xuetong révèle les débats internes qui doivent agiter les cercles dirigeants à Pékin et dont on perçoit, avec le resserrement politique actuel, certains des effets.

 

Au terme de cette analyse illustrée par de nombreux exemples tirés du passé et du présent, les postulats suivants paraissent s’imposer à l’auteur :

  • Le passage en cours d’un monde encore largement unipolaire à un monde bipolaire car la Chine est en mesure de continuer à progresser, à se réformer alors que les États-Unis sont empêtrés dans leurs problèmes intérieurs. Aucune autre puissance ne peut émerger tant est grande l’avance des États-Unis et de la Chine et qu’il manque aux autres pays ou Union le leadership suffisant.

 

  • Le centre de gravité du monde va passer de l’Europe à l’Asie orientale, là où sont les intérêts stratégiques des deux grandes puissances.

 

  • Ce n’est pas pour autant que l’on va s’installer dans un G2 ou une ChinAmérique car nous ne sommes plus à l’heure de la guerre froide. Les États-Unis n’ont plus la motivation pour assurer la sécurité globale tandis que la Chine pratique le non-alignement et ne veut pas assumer de telles responsabilités. Ce n’est plus ou pas encore de l’isolationnisme mais le souci de ne pas tomber dans les rets d’un interventionnisme impuissant.

 

  • Aucune des deux puissances n’est en position d’imposer un nouveau système de normes qu’il soit libéral et messianique ou reflétant des valeurs chinoises plus souples, plus inclusives, plus accommodantes. Leurs systèmes de valeurs et de normes vont coexister sans que l’un chasse l’autre.

 

De ces postulats, YAN Xuetong tire un certain nombre de conclusions et de prédictions explicites ou implicites pour les dix ans à venir :

  • Les États tiers n’ont dorénavant plus à se ranger sous la bannière plus ou moins étoilée d’une des deux superpuissances mais à agir en fonction de leurs intérêts, politiques ou économiques. Il n’y a plus de rideau de fer entre deux camps. Des pressions, des intimidations peuvent se produire mais elles ont leurs limites. Cela est déjà le cas en Asie où l’on peut avoir besoin de l’Amérique mais sans pour autant se fâcher avec la Chine. L’Europe s’engage sur la même voie.

 

  • L’esprit de coopération internationale peut en être sérieusement affecté sur des sujets comme le climat, le terrorisme, les trafics de tout genre ou les migrations. De même, si une guerre sino-américaine apparaît exclue car le prix à payer serait trop lourd en raison des armes atomiques dans les deux camps. Faute de superpuissance modératrice, il n’est pas du tout exclu que le recours aux armes par d’autres États en soit encouragé.

 

  • Bipolarisation et faiblesse des pays tiers font que le multilatéralisme va se trouver affaibli car sans valeur ajoutée pour les deux géants. Le bilatéralisme et la compétition économique via les grandes firmes vont être le mode normal de fonctionnement du système international. Les sanctions unilatérales vont se multiplier et pas seulement entre hyperpuissance, car il n’y a plus d’autres biais pour purger les différends.

 

Le diagnostic et le pronostic formulés par YAN Xuetong ne doivent guère s’écarter de ce que les cercles dirigeants pensent à Pékin et de la ligne de conduite qui en découle.

 

Le contraste est permanent dans ce livre, écrit à la fin de la présidence Trump, entre une Amérique, durablement dévaluée et incapable de mener en profondeur les réformes indispensables et une Chine dans laquelle Xi Jinping – cité nommément assez peu – mène avec détermination des réformes d’envergure. Il n’est pas exclu que Donald Trump revienne au pouvoir tandis que Joe Biden est à la peine pour réformer et refaire l’unité du pays. De huit à dix ans leur cadet, Xi Jinping peut rester au pouvoir jusqu’à la fin de la décennie. Il peut être l’homme de la réhabilitation de la Chine, s’il ne commet pas d’erreur politique en s’écartant trop de ce qui a fait le succès de la Chine ces quarante dernières années : maintien de la politique d’ouverture et hubris maîtrisé. On retrouve les préceptes de Kishore Mahbubani (voir précédente note de lecture sur « Le jour où la Chine va gagner »).

Tout comme la même conviction que les risques de guerre entre la Chine et les États-Unis sont extrêmement limités. YAN Xuetong prend nettement ses distances vis-à-vis des adeptes du « piège de Thucydide » qui postule que, face au risque de perdre leur suprématie, les puissances dominantes recourent à la guerre contre la puissance montante. Pour lui, cette théorie est réductrice car la compétition peut occuper d’autres terrains, comme le commerce ou l’économie. L’arme atomique a changé la donne.

De même, la Chine n’est pas l’URSS. Pékin a retenu les leçons d’un système qui, en voulant se réformer de l’intérieur en se libéralisant, s’est éloigné de ses fondements pour finalement voler en éclats. La Chine a une présence sur toute la planète et est intégrée dans les circuits économiques mondiaux, ce qui n’a jamais été le cas pour l’empire soviétique.

On se retrouve donc dans une situation marquée par l’ambiguïté, une cohabitation ni pacifique ni belliqueuse de deux superpuissances sans rivales, des puissances tierces mineures qui, dans ce milieu complexe et mobile, s’efforcent de tirer leur épingle du jeu en jouant dans la main de tel ou tel camp, selon leurs intérêts nationaux et non une idéologie dominante. On est loin de la conviction que le système occidental conduit à la fin de l’histoire ou que si la Chine gagne la bataille du leadership, elle imposera l’idéologie qui l’anime.

Pour l’Europe, c’est un appel au réalisme tant pour juger le monde hobbesien dans lequel nous vivons que pour se donner les moyens requis pour peser sur la marche du monde, protéger et promouvoir ses intérêts.

A écouter YAN Xuetong, l’Occident ne résistera à l’érosion de son pouvoir que s’il se réforme pour être moins hégémonique dans l’imposition de valeurs proclamées universelles, et pour retrouver le chemin de la performance économique.

Coexisteront ainsi deux superpuissances dans un monde où les acteurs navigueront à vue selon les intérêts en présence et la conjoncture du moment. Équilibre instable mais qui est celui dans lequel nous vivons déjà et qui semble appeler à durer car on ne voit pas la Chine remplacer les États-Unis à vue humaine ni ceux-ci retrouver la place incontestée qui a pu être la leur durant 30 ans.

Serge Degallaix, Directeur général, Fondation Prospective et Innovation

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Informations sur l'ouvrage

  • Leadership and the rise of great powers
  • Auteur : YAN Xuetong
  • Éditeur : Princeton University Press
  • Date de publication : 09 avril 2021
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