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« L’Union européenne et la guerre »

Date de la note : 30 mars 2023

« L’Union européenne et la guerre », Pierre MENAT – Harmattan, février 2023

 

L’auteur, Pierre MENAT est un des meilleurs spécialistes des questions européennes. Diplomate, il a été Ambassadeur en Pologne, en Roumanie, aux Pays-Bas, à côté des fonctions de Directeur de l’Union européenne qu’il a exercé à deux reprises (2002-2004 et 2007-2009) et de Conseiller pour l’Europe de Jacques CHIRAC.

Régulièrement, il publie un ouvrage qui fait le point de situation de l’Union européenne, des défis auxquels elle se trouve confrontée et ses réponses. En 2019, France cherche Europe désespérément, et en 2020, Dix questions sur l’Europe post-covidienne, entre défiance et puissance.

Un peu moins de trente ans après la guerre en Yougoslavie des années 90, qui avait révélé les faiblesses de l’Europe comme acteur militaire sur son propre sol, l’Europe paie la reconstruction mais s’en remet à l’OTAN, donc aux Américains, dès lors qu’il s’agit de faire appel aux armes, de disposer de moyens de renseignement militaire sophistiqués.

La guerre en Ukraine sert à nouveau de révélateur, même si des évolutions notables sont intervenues. Bien sûr, la responsabilité de Vladimir POUTINE est indiscutable mais ce conflit résulte aussi, pour partie, de l’inactivité de l’Union européenne après le non-respect à la fois par la Russie et par l’Ukraine du protocole puis des accords de Minsk de 2014 et 2015 qui faisaient suite aux soulèvements au Donbass. Le leadership européen est aujourd’hui frappé de dilution et donc insuffisamment efficace. La concertation entre Européens exige du temps et le précédent réussi de l’intermédiation du Président SARKOZY entre la Géorgie et la Russie en 2008 témoigne de ce que le dispositif adopté par le Traité de Lisbonne se heurte à des limites du fait de la dilution des responsabilités au sein de l’Union entre la Présidente de la Commission, le Président du Conseil, le Haut représentant et le Président ou Premier Ministre du pays exerçant la Présidence semestrielle de l’Union. Celui-ci ne préside plus le Conseil, ni son ministre des Affaires étrangères le Conseil des Affaires étrangères. La Politique Étrangère et de Sécurité Commune (PESC) est entre les mains du Président du Conseil européen et animée par le Haut Représentant.

Pour sortir par le haut de la situation actuelle, Pierre MENAT propose une Union politique de sécurité et de défense qui s’inspire de ce qui s’est fait pour la création de l’euro.

Pour cela, il faut que les États intéressés s’entendent sur des objectifs et sur une stratégie, sur la mise en commun de moyens et de capacités, cela en bonne intelligence avec l’Union européenne et avec l’OTAN pour le partage des tâches et le recours à leurs moyens et institutions. Cette Union s’élargirait progressivement.

Se pose également la question de l’image de l’Europe face au reste du monde non-occidental, ce que l’on appelle maintenant le Global South. La parenthèse de l’immédiat post-guerre froide est maintenant fermée et ne se réouvrira pas. L’Amérique a perdu son aura avec son égoïsme protectionniste foncier et ses récents dévoiements démocratiques. D’autant que la rechute à Washington est plus probable que la guérison lors des élections en novembre 2024 qui pourrait voir revenir Donald TRUMP ou un clone.

Le combat engagé par Washington contre Pékin est pour l’Amérique le seul qui vaille et il lui faut élargir le front de l’endiguement face à ce concurrent à la première place du podium.

Les pays occidentaux et ceux qui, dans le reste du monde, partagent les mêmes valeurs libérales, ne doivent pas faire l’objet de mise en cause de   leur attachement à ces valeurs quand ils se montrent ouverts à la diversité des références culturelles. Le monde n’est uniforme et monocolore, d’autant que les événements du passé continuent à ternir l’image de la diplomatie américaine et, plus généralement, des pays occidentaux.

Dans ce monde en tension et en contorsion, l’Europe pourrait tirer son épingle du jeu se présentant comme un pont entre ces antagonismes pour les réduire et les faire cohabiter pacifiquement. Pour cela, il lui faut préserver son identité et son autonomie : la guerre en Ukraine ne laisse guère présager que l’on en prend le chemin.

Le discours de Prague du 29 août 2022 du Chancelier Olaf SCHOLZ a mis en avant les divergences, plus que les différences, entre la France et l’Allemagne. Sur l’élargissement : le Chancelier semble appeler de ses vœux une Union à 36 États, sans beaucoup s’interroger sur le mode de fonctionnement d’un ensemble aussi large et hétéroclite. De même, sans mentionner la France, le Chancelier présente un projet de défense aérienne reposant sur des systèmes israéliens et américains, non européens. L’inaction des dernières décennies amène à la précipitation dans les décisions prises.

Relève de la même démarche allemande, la mention faite d’une substitution de l’Europe à la France pour occuper le siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations-Unis, qui aboutirait à l’alignement sur les positions américaines ou à l’impuissance.

En l’état actuel des choses, toute politique étrangère européenne ne peut que s’incarner dans le plus petit commun dénominateur auquel parviendrait l’Europe.  En 2003, quand les États-Unis décidèrent d’envahir l’Irak, Allemagne et France s’étaient retrouvés pour condamner cette folie mais combien d’autres États-membres s’étaient ralliés à cette malheureuse aventure. Quelle aurait été le choix alors d’une Europe aussi divisée ?

Les commentaires

Le regard de Pierre MENAT sur l’état de l’Europe et l’impact sur elle de la guerre en Ukraine est lucide et argumenté.

Il a une vision très gaullienne de ce que la France peut proposer et de ce que l’on peut attendre de l’Europe et de sa  place  dans le monde. Il veut allier ambition et réalisme, les deux ne faisant pas toujours bon ménage en Europe.

Quelle est la véritable ambition d’une Europe aujourd’hui en proie à la guerre et aux clivages ?

L’Europe de l’est a pris du poids politique et n’entend pas s’en laisser compter par la vieille Europe. Les pays victimes de l’histoire ont la mémoire longue. Les récents propos du Président Polonais sont éclairants : l’ancrage est dans une OTAN dirigée par des Américains, seuls garants possibles de leur liberté et de leur indépendance.

Quel accueil peut être réservé aujourd’hui aux idées de Pierre MENAT d’Union politique de sécurité et de défense ? Qui en prendra le risque diplomatique ? Être en même temps dehors et dedans, est-il praticable ? N’est-ce pas trop tard ? Ou trop tôt ? Ne faut-il pas une crise avec Washington pour faire bouger les lignes à l’est ? Un retour de Donald TRUMP dans le bureau ovale ?

Sur l’Europe, force d’équilibre et de dialogue avec ce Sud qui largue les amarres vis-à-vis d’un Occident égocentrique, on ne peut qu’être d’accord. Mais, il faut aussi convaincre qu’admettre le point de vue de l’autre n’est pas se renier. Dans un monde en cours de restructuration, de plus en plus binaire mais aussi multipolaire, l’Europe est de plus en plus indispensable mais son autonomie de décision de plus en plus difficile à faire vivre.

Ouvrage honnête et courageux intellectuellement, l’Europe face à la guerre mérite une lecture attentive et un peu de patience pour lire le prochain ouvrage qui ne manquera pas de nous accompagner sur le chemin de l’histoire de l’Europe.

 

Pour aller plus loin:

BILLET D’ACTUALITÉ : Conseil européen et Sommet de la Zone Euro (23 et 24 mars 2023)

VIDEO : « L’Europe, vers un nouvel élan » – Rudy AERNOUDT

 

Serge DEGALLAIX, Ancien Ambassadeur

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Informations sur l'ouvrage

  • L'Union Européenne et la guerre
  • Auteur : Pierre MENAT
  • Éditeur : Harmattan
  • Date de publication : 01 février 2023
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