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Conseil européen et Sommet de la Zone Euro (23 et 24 mars 2023)

31 mars 2023

BILLET D'ACTUALITE - par Philippe COSTE, ancien Ambassadeur

Les réunions européennes de jeudi et vendredi dernier se présentaient comme des rendez-vous de routine et ont abouti à des conclusions relativement attendues, portant principalement sur l’Ukraine, la compétitivité de l’économie et la situation de la Zone Euro. En fait, ce qui en ressort de plus intéressant est peut-être ce qui ne figurait pas à l’ordre du jour des réunions officielles.

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S’agissant des sujets programmés à l’agenda, les divers aspects de la situation en Ukraine ont fait l’objet d’un débat exhaustif au cours duquel sont d’ailleurs intervenus deux invités de marque, le Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Guterrès, et le président ukrainien, Volodymyr Zelensky. Il a conduit à réitérer la condamnation de l’agression russe, à confirmer le soutien de l’Union au plan de paix de l’Assemblée Générale des Nations Unies et à appeler la Russie à se conformer au droit international. Les Vingt-Sept se sont en outre engagés à soutenir les actions tendant à poursuivre les crimes commis à l’occasion de la guerre, à maintenir et accroître la pression exercée par les sanctions contre la Russie… Mais le point essentiel est l’accord intervenu pour livrer d’urgence à l’Ukraine des munitions sol-sol et des munitions d’artillerie ainsi que, si cela est demandé, des missiles, avec l’objectif de fournir un million d’obus au cours des douze prochains mois.

Autre point important de l’ordre du jour, l’adaptation et le renforcement de la compétitivité de l’économie européenne. Le Conseil européen a appelé à intensifier les travaux pour avancer sur un certain nombre de pistes :  simplifier l’environnement réglementaire, faciliter l’accès des PME aux investissements et aux capitaux privés, réduire les dépendances stratégiques de l’Union en matière de chaînes d’approvisionnement, accroître les investissements en R&D de façon à y consacrer 3 % du PIB, accélérer et généraliser la numérisation de l’économie et encourager la montée en gamme des compétences, favoriser la transition vers une économie plus circulaire. Il ne faut pas s’y tromper : travailler sur ces pistes signifie chercher à répondre à l’initiative américaine, improprement appelée Inflation Reduction Act (IRA), consistant en fait à subventionner massivement les technologies vertes développées sur le territoire des États-Unis avec le risque de siphonner les activités du même type qui se développent de ce côté-ci de l’Atlantique. Et la réponse qui se dessine conduit clairement à la mise en place d’une véritable politique industrielle européenne avec un renversement des priorités traditionnelles de l’Union. Jusqu’à présent, la priorité allait au consommateur et à son corollaire, le libre-échange ; aujourd’hui, elle va de plus en plus au producteur, au prix d’une montée inévitable du protectionnisme en Europe.

Quant au Sommet annuel de la Zone Euro, il a été dominé par les turbulences que traverse la finance internationale avec la chute de Silicon Valley Bank et le rachat de Crédit Suisse. Christine Lagarde s’est voulue rassurante. Le secteur bancaire, a-t-elle déclaré devant le Sommet, est « fort » et la Banque Centrale Européenne est pleinement équipée pour fournir des liquidités au système financier de la Zone Euro. Devant la presse, les participants se sont appliqués eux aussi à calmer le jeu en faisant valoir que depuis la crise de 2008, les normes de sécurité en Europe avaient été considérablement renforcées et que les banques du continent étaient aujourd’hui dans une position beaucoup plus solide qu’il y a quinze ans. Parmi ceux-ci, Olaf Scholz s’est montré particulièrement insistant, au moment où le cours des actions de la Deutsche Bank avait dévissé jusqu’à 14 % dans la journée. Il faut bien voir néanmoins que l’agitation des marchés provient fondamentalement de la hausse rapide des taux d’intérêts, nécessitée elle-même par la lutte contre l’inflation. Cette hausse rapide a provoqué une crise de trésorerie dans deux banques, l’une californienne, l’autre suisse, qui, pour des raisons propres à chacune, se trouvaient particulièrement fragiles. Même si la situation du secteur est aujourd’hui beaucoup mieux sous contrôle qu’en 2008, on ne peut garantir que la totalité des établissements financiers concernés soit parfaitement à l’abri de tout risque.

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Tels étaient donc les principaux sujets à l’ordre du jour de ces réunions. La Chine en était totalement absente et pourtant, son ombre a constamment plané sur elles. Elle l’a fait même en ce qui concerne le Sommet de la Zone Euro, tant il est vrai que les Européens savent bien que la crise financière de 2008 a beaucoup contribué à imposer, aux yeux de Pékin, l’image d’un Occident décadent. Mais elle a plané avec une beaucoup plus grande insistance sur le Conseil européen. Mais surtout, venant immédiatement après la rencontre Xi-Poutine du début de la semaine, les prises de position des Vingt-Sept à l’appui de l’Ukraine – et spécialement la décision de lui livrer des armes supplémentaires – faisaient un contraste frappant. De même, bon nombre des moyens mis à l’étude pour renforcer la compétitivité de l’Europe peuvent s’analyser comme autant de manière de répondre à une double menace : celle relativement ponctuelle de l’IRA américaine bien sûr, mais aussi celle plus générale de la Chine. En fait, face à la Chine, l’Union est tiraillée entre les États-Unis qui essaient de l’enrôler dans leur croisade et le souci de suivre une ligne nettement plus nuancée, de défense des intérêts européens, certes, mais en restant attentif à ne pas gêner l’énorme et indispensable courant des échanges bilatéraux et, plus généralement, en veillant soigneusement à ne pas isoler ce très grand et très important pays.

Un autre sujet est apparu en filigrane de ces réunions : un sujet de perplexité, cette fois, à propos de l’attitude de l’Allemagne. Les tensions au sein du gouvernement de coalition en place à Berlin gênent de plus en plus la capacité de décision de l’Union et commencent à atteindre la crédibilité de celle-ci sur des sujets aussi divers que les politiques environnementales, l’aide à l’Ukraine ou la réforme des règles applicables à la dette et aux déficits. L’exemple le plus troublant est intervenu le mois dernier lorsque la République Fédérale, au dernier moment de la négociation, a voté contre l’interdiction de commercialiser les moteurs à combustion interne à partir de 2035, élément essentiel du Green Deal européen qu’elle avait soutenu jusque-là. C’est le ministre libéral des Transports qui a imposé cette volte-face, au grand dam de ses collègues Verts. Les échecs électoraux répétés du FDP, ces derniers mois, expliquent ce raidissement sur une ligne inspirée par le souci de la plus grande rigueur financière possible. Face à ces dissensions, le refus du chancelier d’imposer son arbitrage commence à donner à penser à Bruxelles que décidément, avec Olaf Scholz, l’Allemagne n’a plus l’autorité qu’elle avait du temps d’Angela Merkel et de ses prédécesseurs. Affaire à suivre en tout cas…

 

Quoi qu’il en soit, sur le nucléaire, Berlin reste opposé à l’idée de traiter cette énergie comme « verte », au même titre que l’éolien ou le solaire et donc à bénéficier du même accès privilégié aux financements de l’Union. Au sortir d’un petit déjeuner pris avec Olaf Scholz en marge du Sommet de l’Euro-zone, Emmanuel Macron a déclaré penser trouver un accord. Ce pourrait être sur les petits réacteurs modulaires qui sont en cours de développement dans plusieurs pays de l’Union dont la France.

Au total, une réunion marquée de peu d’avancées majeures mais significative des changements d’atmosphère à Bruxelles.

Philippe COSTE
Ancien Ambassadeur

 

Pour aller plus loin:

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