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Conseil des ministres franco-allemand du 22 Janvier 2023
On ne peut pas dire que le soixantième anniversaire du Traité de l’Elysée ait été célébré en fanfare. Il est passé à peu près inaperçu de la presse internationale. Quant aux commentateurs français et allemands, ils ont rendu compte de l’événement en s’attachant plus à l’écume des choses qu’à une réflexion de fond sur ce qui constitue tout de même un enjeu majeur de notre temps. L’entente franco-allemande, si essentielle à l’équilibre européen, est-elle bien inoxydable ?
La déclaration conjointe adoptée à l’issue du Conseil des ministres franco-allemand n’a pas manqué d’alimenter un peu plus l’humeur désenchantée qui prévaut ces temps-ci. Elle affirme, sur un ton parfaitement lisse, la volonté des deux partenaires d’être « à la hauteur des changements de notre environnement stratégique et de renforcer la sécurité et la défense », leur intention que l’Europe soit elle aussi « à la hauteur des enjeux énergétiques, économiques, environnementaux, climatiques, industriels, sociaux et de biodiversité ». Elle affirme que les deux partenaires se proposent de promouvoir « une Union européenne plus efficace et plus agile » et d’approfondir leur partenariat bilatéral. Le lecteur attentif et familiarisé avec ce genre de littérature pourra repérer, çà et là, des signes non négligeables d’avancées sur plusieurs dossiers : en particulier sur l’énergie, notamment nucléaire, sur le développement des nouvelles technologies, sur la réforme du fonctionnement de l’Union européenne, sur la coopération transfrontalière. Mais le grand public, si tant est qu’il se soit intéressé au sujet, a sans doute plutôt trouvé des motifs de découragement dans ce qu’il a dû prendre pour un sempiternel robinet d’eau tiède. Et de se trouver conforté dans sa conviction : le couple franco-allemand n’est plus ce qu’il était.
En fait, la panne du tandem recouvre des difficultés de nature différente. Les unes sont circonstancielles, les autres, de fond.
Au titre des premières, il faut d’abord mentionner le tremblement de terre de grande ampleur que l’affaire ukrainienne a provoqué en Allemagne. Elle a bouleversé le positionnement où s’était installé de très longue date le pays sur plusieurs points essentiels : les rapports quasiment existentiels avec la Russie, la négligence pour les questions de défense, les choix énergétiques très risqués. A l’été dernier, lors de l’interruption des fournitures gazières russes, un vent de panique a soufflé sur Berlin. Ce qui était en jeu, c’était non seulement le confort des particuliers à l’approche de l’hiver mais aussi la survie de pans entiers de l’appareil industriel, c’est à dire le cœur même de la prospérité allemande. On peut comprendre que les responsables outre Rhin aient été pris de vertige et aient négligé la relation franco-allemande.
En reportant avec quelque éclat le conseil des ministres franco-allemand d’octobre dernier, Emmanuel Macron a été dans son rôle : rappeler au partenaire du « couple » que les difficultés, si grandes soient elles, sont mieux surmontées ensemble que séparément.
Autre difficulté de circonstance, entre la fin 2021 et le début 2022, la situation politique s’est renouvelée dans les deux pays. D’un côté, un Président réélu mais sans majorité au Parlement ; de l’autre, un nouveau chancelier, qui plus est, à la tête d’une coalition, non plus de deux mais de trois partis. Comme à chaque changement politique en Allemagne ou en France, il faut s’ajuster, apprendre à se connaître en profondeur, construire une réelle connivence et notamment savoir mesurer la marge de manœuvre de son vis à vis en politique intérieure. Entre Macron l’extraverti et Sholtz le taiseux, s’apprivoiser prend inévitablement du temps. La difficulté réapparaît à chaque renouvellement d’équipe. Même si elle est réelle, il ne faut pas s’en exagérer l’importance. Elle a été le plus souvent surmontée.
En revanche, il reste un vrai problème de fond : le déséquilibre qui s’est creusé entre les deux partenaires. Au fil des années les Allemands se sont renforcés d’abord par la réunification puis par l’essor économique spectaculaire qui a suivi la réforme du marché du travail. Les Français au contraire se sont affaiblis par leur incapacité à maîtriser leur dette publique et leurs déficits extérieurs et, plus généralement, par leur incapacité récurrente à réformer l’économie et la société. Cette situation est malsaine en soi mais aussi parce qu’elle nourrit la méfiance entre les deux partenaires. Mais comme on ne peut évidemment pas demander aux Allemands de se réduire, force nous est de nous rétablir, nous Français, si l’on veut retrouver les conditions d’une relations saine au sein du binôme. Car pour pouvoir tenir tête, trouver les arguments pour défendre sa solution, voire la faire prévaloir, il faut avoir assez de confiance en soi pour se battre et assez de crédibilité pour s’imposer.
Il est essentiel que nous le fassions car la relation franco-allemande conditionne la marche en avant de l’Union européenne. Pour toutes sortes de raisons, il y a sans doute en Europe peu de pays qui soient aussi différents que la France et l’Allemagne, non seulement par leurs institutions mais surtout par leurs mentalités. Au point que la relation entre les deux commence toujours par un désaccord. Définir ensemble une position commune sur un sujet particulier, est une démarche volontariste qui suppose souvent un travail épuisant. Mais, dans le cadre de l’Union européenne en particulier, cet effort est régulièrement récompensé : une fois le compromis trouvé entre les deux, il sert de base de négociation et après les ajustements inévitables, il finit le plus souvent, même dans une Union à vingt-sept, par rencontrer l’assentiment général.
Autrement dit, dans la relation franco-allemande, notre premier devoir est d’assainir notre situation économique. Ensuite, il nous appartiendra de proposer de bonnes idées. Elles ne manquent pas et notre inventivité est universellement reconnue. Il faut juste veiller à ce qu’elles ne soient pas trop « typées françaises », qu’elles touchent d’aussi près que possible le centre de gravité des aspirations européennes. A cet égard, la Fondation Prospective et Innovation a pris l’initiative de patronner la publication, en version française, des mémoires de Joachim Bitterlich qui fut le conseiller diplomatique du chancelier Kohl. Marié à une de nos compatriotes, il incarne en quelque sorte la relation franco-allemande. Son livre est rempli de réflexions générales et de suggestions concrètes qui devraient aider nos maîtres à penser à ajuster le tir de leurs propositions.
Philippe COSTE
Ancien Ambassadeur
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