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  • Selon le rapport Draghi, le ralentissement économique de l’Europe est attribué à sa faible productivité, notamment en matière de technologies d’avenir.
  • Il propose 170 mesures, visant à réduire les freins à l’innovation, combiner décarbonation et compétitivité et améliorer la sécurité du continent en réduisant les dépendances.
  • Le rapport rencontre déjà des oppositions, notamment en Allemagne. Il arrive à un moment critique ou l’UE fait face à un scepticisme croissant et une crise de leadership.

 

C’est une réalité patente que, depuis une vingtaine d’années, l’économie européenne n’a plus retrouvé le rythme de croissance qu’elle avait auparavant et qu’elle décroche depuis lors par rapport à l’économie américaine, comme si son ressort était cassé. Après beaucoup d’autres, le rapport établi par Mario Draghi sur « l’avenir de la compétitivité européenne » en fait, lui aussi, la constatation. Ce qui est nouveau, c’est la personnalité de l’auteur, l’autorité exceptionnelle que lui donne sa qualité de sauveteur de l’Euro, et la franchise rafraichissante de son diagnostic. Tout cela confère un poids particulier à son analyse du problème et aux propositions qu’il formule pour y porter remède. Pour une fois, c’est un rapport qu’il va être difficile d’ignorer et d’abandonner aux tiroirs surencombrés des études habituelles sur les sujets européens.

En un mot, Mario Draghi attribue la divergence croissante entre les économies des deux côtés de l’Atlantique essentiellement à une affaire de productivité laquelle s’explique en grande partie à ses yeux par le dynamisme américain et la faiblesse européenne en matière de technologie. L’Europe est beaucoup trop concentrée sur les technologies matures et très insuffisamment sur les technologies d’avenir, celles qui, précisément, stimulent la croissance future. Il faut donc a priori beaucoup de réformes et beaucoup d’investissements pour redresser la situation. Or, pour compliquer la situation, le contexte s’est considérablement détérioré depuis quelques années. La démographie insuffisante et l’endettement excessif réduisent les marges de manœuvre au moment où les besoins d’investissements explosent du fait de la transition numérique et de la transition verte à quoi s’ajoute la dégradation du contexte international : montée du protectionnisme, niveau de prix de l’énergie et retour en force des préoccupations de sécurité. Selon les dernières estimations, lesdits besoins d’investissements devraient se monter à 5 % du PIB, soit trois fois ce qu’a représenté jadis le Plan Marshall.

 

Mario Draghi propose donc tout une série de mesures concrètes, 170 au total, qu’il regroupe en trois secteurs d’intervention.

D’abord, sur la technologie, débloquer les freins à l’innovation, dont l’Europe est parfaitement capable, et sa traduction en produits et services commercialisables. Cela suppose de réformer des réglementations trop restrictives et souvent incohérentes et de développer résolument le capital-risque, et en amont, d’améliorer l’éducation et la situation de la recherche.

Deuxièmement, combiner décarbonation et compétitivité en réformant le marché européen de l’énergie, en soutenant davantage les technologies propres et les véhicules électriques et en égalisant les conditions de concurrence face aux Etats qui mettent en œuvre des politiques industrielles fondées sur la préférence nationale.

Enfin, améliorer la sécurité du continent et réduire ses dépendances. Cela suppose de coordonner les accords commerciaux préférentiels et les investissements directs avec les pays riches en ressources naturelles ; constituer des stocks dans certains domaines critiques ; et créer des partenariats industriels pour sécuriser la chaîne d’approvisionnement des technologies clés. Cela suppose aussi de renforcer très significativement les capacités, notamment industrielles, de défense.

Pour mener à bien toutes ces réformes, Mario Draghi considère indispensable de mieux mobiliser l’importante épargne des ménages existant en Europe et de la flécher vers l’investissement productif avec le soutien résolu du secteur public et, plus largement, il considère qu’il faut améliorer sensiblement le fonctionnement du système de gouvernance au sein de l’Union en termes d’efficacité mais aussi de cohérence. Sur ce dernier point, il relève par exemple que les objectifs de décarbonation qu’elle s’est donnée ont été fixés indépendamment d’une stratégie industrielle qui eut permis de les atteindre plus facilement et de mieux en tirer les bénéfices économiques.

 

Le rapport étant maintenant sur la table des décideurs, reste à savoir quelles suites lui seront données.

Déjà les oppositions se sont élevées, notamment de la part de l’Allemagne. On aurait pu penser que la crise qu’elle traverse actuellement l’aurait rendue plus intéressée par les préconisations de l’ancien banquier central. Loin de là, ignorant l’essentiel du rapport, le ministre des Finances du gouvernement de coalition, vite rejoint par le chef de la CDU, s’est immédiatement insurgé contre l’idée que l’Union puisse avoir besoin de lever davantage de dette commune, au vertueux motif que chaque Etat devait continuer d’être individuellement responsable de ses propres finances. D’autres expriment la crainte que la recommandation d’alléger le fardeau réglementaire qui pèse sur les entreprises n’aboutisse à abandonner d’autres objectifs importants de l’Union, notamment en matière d’environnement ou de RSE. De même, on peut compter que les idées d’amélioration du processus de décision, en particulier le recours plus fréquent à la majorité qualifiée, vont rencontrer beaucoup d’opposition. Du côté du type de dépenses préconisées par le rapport, un débat s’ouvre aussi pour remettre en cause leur affectation et en réclamer d’autres, au risque d’affaiblir la portée de l’ensemble.

Plus généralement, le rapport Draghi tombe au moment où la construction européenne se heurte au scepticisme croissant d’une partie de l’opinion gagnée par le populisme et où l’Union elle-même connaît sa pire crise de leadership, entre un gouvernement allemand gravement dysfonctionnel et la France qui a perdu sa voix. Remplacer un tel tandem ne s’improvise pas. On ne voit pas quelle alliance de quels pays pourraient provoquer un effet d’entrainement comparable à celui qu’a exercé jusqu’à présent la combinaison si particulière de la France et de l’Allemagne. A moins que, la nature ayant horreur du vide, l’urgence de tirer l’Union de sa torpeur ne pousse en avant quelque formule nouvelle, par exemple la présidence de la Commission à qui les ailes semblent pousser, ou celle du Conseil européen, par construction plus proche des chefs d’État ou de gouvernement… En tout cas, il va falloir beaucoup d’énergie pour redresser la trajectoire dangereuse où l’Europe est engagée.

 

 

Pour aller plus loin :

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