Une histoire et une géographie propices aux frictions
Véritable point stratégique pour l’économie mondiale, la péninsule arabique est depuis plusieurs décennies au centre de tensions affectant le reste du monde. La découverte de gaz et de pétrole dans cette région au cours du XXe siècle a fait de celle-ci une zone prioritaire pour les puissances occidentales afin de s’approvisionner en matières premières mais également de faire de certaines villes des terminaux majeurs pour le transport de marchandises en provenance de l’Asie, plus particulièrement de la Chine. Cet aspect est notamment renforcé avec le Canal de Suez, véritable porte d’entrée vers l’Europe depuis 1869, situé dans un pays qui voudrait se faire davantage entendre sur la scène régionale. S’assurer de la sécurité est donc un objectif prioritaire pour les Etats.
Néanmoins, le perpétuel conflit israélo-palestinien fait peser de lourdes menaces sur la sécurité régionale, qui s’est embrasée depuis le 7 octobre. Cette insécurité se fait également ressentir dans la partie méridionale de la mer Rouge au large des côtes yéménites avec les attaques des rebelles Houthis, dont le pic a été atteint au début de l’année 2024. Cette minorité nationale appartient au courant du zaydisme, se rattachant au chiisme, dont l’Iran se veut être la force motrice dans la région. Ainsi, les Houthis sont une des forces majeures de « l’axe de la résistance », mené par l’Iran en coalition avec le Hezbollah et le Hamas, face à « l’ennemi israélien » dans la région. Cela contribue notamment à structurer la région en deux clans religieux, avec d’un côté l’Arabie saoudite pour les musulmans sunnites et de l’autre l’Iran pour les musulmans chiites (bien que le Hamas soit sunnite).
Avec la guerre, les Houthis ont affiché leur soutien au Hamas et n’ont pas hésité à entreprendre des actions contre l’état hébreu. Bien qu’une très grande distance sépare le Yémen de la Palestine, les Houthis ont envoyé en direction d’Israël et de la mer Rouge de nombreux drones et missiles afin de démontrer leur capacité à ouvrir un second front potentiel pour l’armée israélienne. Pour y mettre potentiellement fin, le porte-parole du groupe rebelle a annoncé que ces attaques cesseront lorsque le siège établi sur Gaza sera levé.
Pour ce faire, l’utilisation de drones de confection locale ou iranienne est la clé des attaques rebelles, leur permettant une puissance de feu importante pour une organisation de cette taille. En effet, 28 drones ont été détruits par les marines anglaise et américaine dans un laps de 4 heures dans la matinée du 9 mars. À l’origine, seuls les navires marchands reliés à Israël étaient visés mais la réalité a montré que de nombreux navires autres ont été impactés. Les dégâts sont nombreux, au 19 janvier, on dénombrait déjà 26 attaques houthis distinctes contre des navires marchands depuis mi-novembre. Cette tendance s’est maintenue jusqu’au mois de mars.
Tensions sur le commerce international
La majorité des échanges entre les régions du monde se fait par la mer, une estimation à 90% du commerce mondial. La route par le détroit de Bab el-Mandeb et la mer Rouge, afin de rejoindre le canal de Suez, est empruntée par la majorité des convois en provenance d’Asie et du Moyen-Orient à destination de l’Europe. On estime que 12% du commerce mondial passe par cette voie de navigation pour rejoindre le Vieux Continent. Cela représente plus de 1 000 milliards de dollars annuels qui transitent par le détroit de Bab el-Mandeb, un montant non négligeable qui a des conséquences pour les entreprises européennes comme pour les consommateurs.
En effet, on estimait mi-février qu’environ 80 milliards de dollars de marchandises ont été impactés suite aux attaques houthis dans la région. Ces marchandises doivent emprunter un chemin plus long en passant par le Cap de Bonne-Espérance au large de l’Afrique du Sud, faisant faire un détour de plusieurs jours aux navires marchands. Cela a un coût non négligeable sur les temps d’acheminement, un coût écologique par une consommation de mazout plus importante mais aussi d’un point de vue financier car cela nécessite, entre autres, de prendre davantage de risques – que ce soit en passant par le cap de Bonne-Espérance ou par le détroit de Bab el-Mandeb. Pour un trajet entre le Golfe Persique et Londres, 14 jours sont nécessaires pour relier les deux régions, en passant par le cap de Bonne-Espérance, le trajet dure 24 jours.
Pour y voir un peu plus clair sur les perspectives directes de la situation actuelle, certaines statistiques aident à comprendre l’importance de ce passage stratégique. Quotidiennement, ce sont 4,8 millions de barils d’hydrocarbures qui transitent par ce détroit en direction de l’Europe principalement. De l’autre côté de la mer Rouge, c’est le Canal de Suez qui est fortement impacté, avec pour conséquence des baisses de recettes liées au trafic pour l’Égypte. Le transit par le canal a représenté 9,4 milliards de dollars de redevance pour cet Etat en 2023 et nul doute qu’en 2024, ce chiffre sera en berne malgré la hausse des droits de passage annoncée par le gouvernement. En effet, sur les seuls deux premiers mois de 2024, le trafic commercial passant par le canal a chuté de 50% par rapport à l’année 2023. Le volume de marchandises transitant par le Cap de Bonne-Espérance a quant à lui augmenté de 74% sur les mêmes périodes de référence.
Pour adopter une perspective française, l’armateur CMA-CGM – troisième plus grande entreprise de transport maritime par conteneur – a annoncé un doublement de ses tarifs par conteneur pour les trajets Asie-Europe. Entre début octobre et la fin janvier, le prix du transport d’un conteneur entre l’Asie et la mer Méditerranée a été multiplié par 4,5 suite à l’attaque du 7 octobre et l’escalade armée menée par les Houthis.
Mettre fin aux conflits : entre diplomatie et force armée
Face à la situation régionale, les différents pays adoptent des positions différentes afin de trouver une solution acceptable. En ce qui concerne le conflit israélo-palestinien, l’Égypte tente de jouer le rôle de médiateur entre les deux parties afin de trouver un cessez-le-feu. L’objectif est d’éviter l’ouverture d’un front étendu avec les Houthis et de retrouver une situation « normale ».
Néanmoins, un nouvel acteur a surgi dans la région prenant la place des États-Unis. En effet, la Chine s’essaie à jouer un rôle de médiateur entre les deux géants régionaux, l’Iran et l’Arabie Saoudite, en organisant une rencontre au printemps 2023. Dans la continuité des efforts menés en 2023, l’Arabie Saoudite a fait appel à la Chine en juin 2024 suite à la visite du ministre de la défense saoudien à Pékin. Le royaume wahhabite est prêt à faire des concessions aux Houthis afin de baisser les tensions régionales. Dans ce contexte, la Chine entend faire appel à ses qualités de médiateur afin de relancer les pourparlers au Yémen entre les différents acteurs. Le géant chinois n’entend donc pas recourir à sa puissance militaire basée à Djibouti – de l’autre côté du détroit de Bab el-Mandeb.
A contrario, une position bien différente est adoptée par les puissances occidentales. De nombreux bâtiments de guerre occidentaux sont présents dans ces eaux pour protéger les navires marchands. Le contexte lié à la guerre Israël-Hamas vient rebattre les cartes de la région et les stratégies américaines menées. Ce changement de cap vis-à-vis des Houthis s’est traduit par des bombardements menés par les Etats-Unis et le Royaume-Uni contre eux le 11 janvier et prolongés jusque-là fin du mois de février. Cependant, les réactions internationales sont assez mitigées avec certains pays appelant à éviter l’escalade, d’autres soutenant les frappes militaires et enfin les Houthis ont annoncé que des représailles seront envisagées suite à ces frappes.
Pour reprendre une perspective française, la frégate multi-missions (FREMM) Languedoc a abattu des drones houthis afin de se protéger ainsi qu’un navire norvégien au cours du mois de décembre. Cela a permis de redonner une image forte à la Marine nationale avec des images fortes de la destruction des engins ennemis. Pour ce faire, la FREMM a lancé des missiles Aster 15 dont le coût est estimé à 1 million d’euros par missile. Cela fera peut-être réagir des institutions comme la Direction Générale de l’Armement pour développer à l’avenir des missiles moins technologiques mais tout aussi efficaces pour ce type de situation. Aujourd’hui, il paraît difficile d’envisager des combats intensifs en utilisant à grande échelle un matériel de pointe tels que ces missiles, et ce d’autant plus que les conflits actuels (Proche-Orient, Ukraine…) semblent voués à durer encore longtemps.
Pour aller plus loin :
Relire – Matières stratégiques critiques ou situation critique ?
Revoir – LA COURSE AUX ARMEMENTS – PASCAL BONIFACE
Relire – Note de Lecture – Ce qui nous attend, Général Dominique TRINQUAND