Date de la brève : 24 mai 2024
Dans un monde post-covid, et avec cette triste guerre aux portes de l’Europe et tant d’autres conflits dans le monde, la Commission européenne s’était engagée en septembre 2022 à conduire une analyse de la situation sur les matières premières critiques, des métaux rares au paracétamol…. La Commission s’est donc penchée sur plus de 5000 produits et elle a pu constater une dépendance critique sur 137 produits (dont 37 très fortement) qui font la vie des citoyens de chaque jour, et qui représentent 6% de la valeur totale des importations en Europe. Ces produits proviennent essentiellement de la Chine, du Vietnam et du Brésil.
Cette démarche fait suite à la ‘révision’ de la politique industrielle de la Commission européenne en 2020 qui s’interrogeait déjà sur l’origine de certains composants pour les industries de la batterie, de l’hydrogène et des semi-conducteurs, et qui a mis en place l’Alliance européenne des matières premières, afin de susciter de nouvelles collaborations entre partenaires publics et privés. Cette approche s’inscrit également dans le prolongement de la déclaration de Versailles de 2022 adoptée par le Conseil européen, qui soulignait l’importance stratégique des matières premières critiques pour garantir l’autonomie stratégique de l’Union et la souveraineté européenne.
En conséquence, la Commission a présenté la proposition de règlement sur les matières premières critiques le 17 mars 2023 qui s’appuie à la fois sur un rapport de prospective axé sur les technologies stratégiques, ainsi que sur des travaux scientifiques du Centre commun de recherche de la Commission. Même si ces thèmes ont reçu une définition -et parfois une bénédiction- différente selon les capitales européennes, considérant l’importance des challenges, il convenait de lancer un plan d’action pour reprendre le contrôle de nos approvisionnements afin qu’ils soient non seulement sûrs et durables, mais aussi accessibles et abordables.
Suite à l’accord politique entre le Parlement européen et le Conseil, la liste des matières premières critiques et stratégiques fera désormais partie du droit de l’Union européenne. Ces nouvelles règles aident à accroître les capacités nationales pour les matières premières critiques tout au long de la chaîne d’approvisionnement, en complément des initiatives visant à diversifier leur approvisionnement au moyen de partenariats internationaux soutenus notamment par le mécanisme «Global Gateway». Afin de renforcer les capacités nationales de l’UE, la Commission et les États membres recenseront des projets stratégiques tout au long de la chaîne de valeur qui bénéficieront de procédures d’autorisation plus simples, plus rapides et plus efficaces, ainsi que d’un accès facilité au financement.
La législation introduit également un suivi efficace des chaînes d’approvisionnement en matières premières critiques et l’obligation pour les grandes entreprises de procéder à des évaluations des risques liés à leurs chaînes d’approvisionnement. Elle prévoit également la coordination des stocks de matières premières stratégiques entre les États membres.
L’Union européenne a proposé d’appliquer la règle dite ‘10-40-25’ ; l’UE devrait avoir la capacité d’extraire 10 %, de traiter 40 % et de recycler 25 % de sa consommation annuelle de matières premières stratégiques d’ici à 2030. L’UE devra également diversifier ses importations de matières premières dites stratégiques afin de ne pas compter sur une seule source d’approvisionnement pour plus de 65 % de sa consommation. Cet accord politique étend également le champ d’application des projets stratégiques à ceux permettant la production de matières dites substitution ou assimilées.
Ces matières premières stratégiques ont été recensées compte tenu de leur importance stratégique non seulement pour les transitions verte et numérique mais aussi pour les secteurs stratégiques (défense, sécurité…) et de l’augmentation prévue de la demande en particulier dans cette période que nous connaissons. Avec cet accord 34 matières ont été qualifiées comme critiques (lithium, manganèse, hélium, cuivre, nickel,…) sur une liste de 70. A cela se sont ajoutés l’aluminium et le graphite synthétique.
Réjouissons-nous de revoir sur le sol européen, et français en particulier, de nouvelles activités reprendre telles que les semi-conducteurs dans les Hauts de France ou la première usine de paracétamol européenne prévue à Toulouse dès 2025. Ce processus de ‘sécurisation’ de nos chaînes de valeur est un long fleuve, pas toujours tranquille, et qui va forcer les Etats membres, habitués à une certaine concurrence internationale, à davantage dialoguer et travailler ensemble sur le territoire européen.
Antoine FERAL
Conseiller du Commerce Extérieur, Union Européenne
Pour aller plus loin :
Relire – Le Conseil européen pour une Union plus « stratégique »
Revoir – Quelle « boussole stratégique » pour l’Union européenne ?
Relire – Souveraineté industrielle – vers un nouveau modèle productif
Antoine FERAL, Conseiller du Commerce Extérieur, Union Européenne
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