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2024, L’ANNEE DES ELECTIONS ET DES REBONDISSEMENTS GEOPOLITIQUES

12 janvier 2024

par Samuel EVENO, Chargé de mission auprès de la Directrice générale

Si l’on savait déjà que 2020 serait considérée comme une date charnière dans l’histoire du XXIe siècle en raison de l’impact de la pandémie de Covid-19, 2024 promet de ne pas nous décevoir non plus. Avec 4,1 milliards de personnes qui seront appelées aux urnes, soit la moitié de l’humanité, l’année sera riche en rebondissements (ou pas selon le pays), dans un contexte marqué par des tensions géopolitiques croissantes, des guerres, une inflation qui perdure, des taux d’intérêt élevés, la crise énergétique, etc.

Organisés dans 68 pays dont dix des plus peuplés dans le monde, les scrutins prévus en 2024 sont d’abord de nature différente : 38 sont présidentiels, comme à Taïwan, aux Etats-Unis, en Russie, en Indonésie et au Mexique, 39 sont des élections législatives et dix sont des élections locales, sans compter les élections européennes de juin 2024 qui concernent 400 millions d’électeurs issus des 27 Etats membres. Bon nombre de pays auront une année électorale plus riche que d’autres car plusieurs scrutins y seront organisés, comme au Portugal, en Lituanie, au Ghana, en Afrique du Sud, aux Etats-Unis, en Indonésie, etc.

En outre, il convient de noter que ces élections ne seront pas organisées de la même manière d’un pays à l’autre. La cartographie du degré de liberté dont bénéficient les électeurs se recoupe ici avec celle de l’index démocratique mondial. Aucune transition n’est ainsi attendue dans les régimes actuellement classés comme « autoritaires » (au nombre de quinze), dont la Russie, la Biélorussie et l’Iran au premier chef, tandis que l’issue du vote paraît plus incertaine dans les régimes dits « hybrides ». A titre d’exemple, le Pakistan, cinquième pays le plus peuplé en proie à une double crise politique et économique, mise sur les élections générales de janvier pour améliorer la situation. En Turquie, la partie s’annonce serrée entre le chef d’Etat sortant et son principal opposant, Kemal Kilicdaroglu.

Mais, là n’est pas l’enjeu. Si 2024 est une année cruciale, c’est notamment en raison des conséquences de certaines élections sur les équilibres géopolitiques mondiaux actuels. Tout d’abord, le nouveau locataire de la Maison Blanche sera un déterminant essentiel, dans la mesure où deux visions du monde antagonistes s’opposent radicalement. Donné largement en tête de la primaire républicaine, Donald Trump n’a pas renoncé à sa stratégie du « America First », qui s’apparente à un retour à l’isolationnisme américain. Joe Biden se veut quant à lui le chantre de la défense des démocraties dans le monde et se distingue ainsi par sa politique interventionniste dans l’ordre mondial. L’élection du premier serait le signe d’un abandon pour les alliés des Etats-Unis.

Trump est connu pour son rejet de l’OTAN et affiche volontiers sa sympathie à l’égard de Vladimir Poutine, ce qui ne serait pas sans conséquences sur le soutien apporté à l’Ukraine. Face à l’inquiétude qu’il suscite, le Congrès a adopté en décembre un projet de loi exigeant l’approbation du Sénat si les Etats-Unis devaient se retirer de l’OTAN, empêchant ainsi Trump d’agir unilatéralement. La Russie pourrait toutefois tirer profit de ces divisions pour attiser les dissensions en Europe. Trump ne s’est pas non plus prononcé clairement en faveur d’Israël dans le conflit avec le Hamas. Enfin, sa position est ambigüe quant à Taïwan, contrairement au président Biden pour lequel la défense de cet Etat insulaire est indiscutable en cas d’invasion chinoise.

Le sort de Taïwan dépend de l’issue des élections américaines, car il est difficile de prédire ce que ferait Washington. A cette perspective préoccupante s’ajoutent les élections présidentielles et législatives prévues simultanément en janvier à Taïwan, dont les résultats auront aussi un impact géopolitique non négligeable. Une épineuse question est notamment au cœur des débats : celle de l’indépendance vis-à-vis de la Chine continentale, que Lai Ching-te, le candidat du DPP et successeur de la présidente sortante Tsai Ing-wen, défend ardemment face au parti du Kuomintang (KMT), partisan d’une ligne plus souple à l’égard de Pékin. Même si la RPC traverse une crise économique difficile et qu’elle ne devrait pas être militairement prête à entrer en conflit avec Taïwan avant 2027, la victoire de Lai laisse tout de même planner l’ombre d’une invasion.

Bien que petite par sa taille, l’île a une influence considérable sur l’économie mondiale car elle produit plus de 70% des semi-conducteurs, et 90% des puces électroniques les plus avancées via son fleuron TSMC. Une invasion aurait de lourdes répercussions sur l’économie globale. D’après le groupe financier américain Bloomberg, ce scénario entraînerait une perte de 10,2% du PIB mondial car les importations et les exportations taïwanaises cesseraient immédiatement, les relations sino-américaines seraient mises entre parenthèses, les Etats-Unis et leurs alliés imposeraient des tarifs douaniers de 50% sur les biens chinois, le commerce vers et depuis le Japon, la Corée du Sud et l’ASEAN chuterait de 80%, etc.

Les élections européennes sont elles aussi sources de préoccupation. Déjà en 2019, les partis populistes et nationalistes gagnaient du terrain. En Italie, la cheffe de file du parti Fratelli d’Italia, Georgia Meloni, a accédé à la fonction suprême en 2022. Aux Pays-Bas, le Parti pour la liberté a remporté une victoire inattendue l’année suivante mais peine à former une coalition. D’autres partis d’extrême droite y sont en revanche parvenus en Finlande, en Slovaquie et en Lettonie. Sans oublier la Hongrie de Viktor Orban, à la tête d’un gouvernement ultraconservateur, ainsi que la France, où le Rassemblement national caracole dans les sondages avec 31% d’intentions de vote pour le scrutin de juin. Or ces partis sont farouchement anti-immigration et défendent des positions plutôt laxistes à l’égard de la Russie de Poutine. Si elle est réélue, Ursula von der Leyen agirait alors en qualité de force d’équilibre, mais le risque d’un blocage des institutions est bien réel. L’issue des élections européennes reflètera également le degré d’acceptation de la politique de soutien à l’Ukraine menée par von der Leyen.

D’autres retournements pourraient enfin influencer l’équilibre du concert des nations mais dans une moindre mesure. En Afrique du Sud, le Congrès national africain (ANC), parti de Nelson Mandela au pouvoir depuis la fin de l’apartheid, pourrait vaciller. Or l’ANC est historiquement proche de la Russie, à laquelle le parti doit un soutien décisif dans sa lutte contre l’apartheid au temps de l’Union soviétique. Malgré la position de non alignée qu’elle prône en vertu de son concept « d’internationalisme progressiste », l’Afrique du Sud dirigée par l’ANC maintient une proximité encombrante avec Moscou. L’invitation de Vladimir Poutine au sommet des BRICS organisé à Johannesburg cet été en témoigne, alors que celui-ci fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale.

A travers la Belt and Road Initiative, la Chine est aussi un partenaire sur lequel s’appuie l’ANC pour ses projets dans les domaines de l’énergie, de la logistique, ainsi que des infrastructures. Pékin serait certainement intéressé par la possibilité d’investir dans un pays affaibli sur les plans économique et politique. A contrario, l’Alliance Démocratique (DA), le parti d’opposition, entretient de bonnes relations avec l’Europe et les Etats-Unis. Afin de ravir la majorité à l’ANC et d’optimiser ses chances de réussite, la DA a appelé sept autres partis à former une coalition. Dans l’hypothèse d’une victoire de cette dernière, un rapprochement s’opérerait avec les grandes nations occidentales.

Ce rapide tour d’horizon n’est pas exhaustif, mais il permet de prendre conscience de l’ampleur des implications géopolitiques sous-jacentes aux élections de 2024. Par ailleurs, il convient de prêter une attention particulière aux menaces de désinformation via l’intelligence artificielle et les cyberattaques, susceptibles d’influencer l’orientation des votes. Dans le contexte actuel, la confusion des populations pourrait fragiliser la démocratie dans le monde. Selon une étude du Threat Analysis Center de Microsoft, la Russie, l’Iran et la Chine pourraient bien interférer de la sorte dans des élections pivots durant l’année, et parfois même de façon simultanée pour la première fois.

 

 

Samuel EVENO, Chargé de mission auprès de la Directrice générale

 

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