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Ce mardi 4 avril 2023 a marqué une date importante chez nos alliés d’outre Atlantique : c’est le jour où, pour la première fois dans l’histoire du pays, un ancien Président des Etats-Unis a été mis en examen ou, comme le disent les Américains, a fait l’objet d’accusations criminelles. Encore les faits qui lui sont reprochés – la dissimulation dans ses comptes du paiement de 130 000 $ à une actrice de films X – ne représentent qu’une petite partie des nombreuses « affaires », autrement plus graves, que la justice s’occupe actuellement d’instruire : qu’il s’agisse notamment de son rôle dans l’attaque contre le Capitole le 6 janvier 2021 ou des pressions exercées en Géorgie pour inverser le résultat des élections présidentielles en novembre de l’année précédente.
En Europe, cette collection de « casseroles » eut largement suffi à ruiner l’avenir de tout homme politique. Il n’en va pas de même aux Etats-Unis. Dans ce pays, il n’est pas interdit à une personnalité poursuivie par la justice de se présenter à une élection, même présidentielle. Surtout, la polarisation de la vie politique y a atteint un tel niveau d’antagonisme que de nombreux électeurs républicains sont tout prêts à croire que les poursuites contre l’ancien président ne sont que chasse aux sorcières, machinations de « l’État profond » inspirés par des motifs politiques, pour barrer la route du retour au 45ème Président. Et de soutenir sa candidature aux primaires républicaines de l’année prochaine avec plus d’enthousiasme encore qu’auparavant. Depuis l’annonce de ses démêlés judiciaires, Ron DeSantis, qui faisait naguère figure de favori dans la course, est désormais largement surclassé par un Donald Trump grandi aux dimensions de martyr national. Les derniers sondages donnent celui-ci à 52 % contre 21 % pour celui-là.
Il est évidemment oiseux de spéculer à ce stade sur les échéances de 2024, la primaire et la présidentielle elle-même. Tant de rebondissements en tous genres peuvent encore intervenir d’ici là ! Mais il n’est pas inutile de s’interroger sur l’étonnante persistance du phénomène Trump et sur ce qu’il dit de l’évolution du parti républicain et de ses conséquences internationales.
Traditionnellement, le GOP était le parti des entreprises contre les débordements de l’Etat, le parti de la liberté économique et de la liberté tout court, celle de porter les armes comme celle de résister à l’impôt. Aujourd’hui, les tenants de cette ligne classique sont complètement marginalisés. Ce sont maintenant les thèmes identitaires qui ont pris la place dominante dans le discours républicain, au point d’éclipser les autres. Les deux principales figures du moment, Donald Trump et Ron DeSantis, illustrent bien cette dérive. L’un comme l’autre n’évoquent guère dans leurs prises de positions publiques la taille de l’État, la sécurité de l’emploi ou la relocalisation des chaînes d’approvisionnement mondiales. En revanche, tous deux célèbrent à grands sons de trompe les valeurs de la famille contre l’avortement, le mariage homosexuel ou le mouvement LGBT et font des gorges chaudes de l’immigration et de la culture « woke » avec sa prétention à vouloir compenser systématiquement les minorités défavorisées. Ils voient dans ces évolutions de la société américaine un redoutable ferment de dissolution et appellent à les combattre sans merci en revenant aux fondamentaux de l’Amérique virile, blanche, anglo-saxonne et protestante.
Sur ce terrain, force est de constater que les nouveaux Républicains d’Amérique rejoignent les mouvements populistes européens et même qu’ils donnent la main à Vladimir Poutine. Lui aussi se veut le chantre d’un « Etat-civilisation » fondé sur des valeurs traditionnelles et voit dans les dérives culturelles de l’Occident global la cause profonde de sa décadence. En face, la droite « MAGA » (Make America Great Again) n’est pas loin de tenir le maître du Kremlin pour le champion mondial de leur cause anti-woke. On rencontre couramment de nos jours aux Etats-Unis des drapeaux russes et des T-shirts proclamant « Je préfère être un Russe qu’un démocrate ».
Mieux si l’on ose dire, Donald Trump comme Ron DeSantis s’insurgent contre la politique de soutien à l’Ukraine voulue par Joe Biden. Rompant avec la ligne anti-russe encore majoritaire parmi les Républicains du Congrès, le gouverneur de Floride a récemment décrit la guerre en Ukraine comme un différend territorial dans lequel les « intérêts vitaux » de l’Amérique n’étaient pas engagés. Quant à l’ancien président, il ne perd pas une occasion de dénoncer l’ampleur des dépenses consenties par le budget des Etats-Unis à l’Ukraine, très supérieures à l’effort financier européen, alors même que, selon lui, le Vieux Continent est beaucoup plus directement intéressé par le conflit que ne l’est Washington. Sur ce point précis, l’heure de vérité pourrait bien sonner, sans attendre les présidentielles de 2024, dès le débat budgétaire de la fin de cette année. Car c’est vers l’automne prochain que seront épuisés les 45 Mds $ que le Congrès a voté en décembre dernier en faveur de l’Ukraine. Il faudra trouver une majorité pour le renouveler et ce n’est pas du tout évident.
On peut gager que Vladimir Poutine surveille tout cela de très près et qu’il y voit des raisons d’espérer que l’endurance de ses troupes sur le terrain finira bien par trouver sa récompense.
Philippe COSTE
Ancien Ambassadeur
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