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BILLET D’ACTUALITE : PETITE CHRONIQUE EUROPEENNE (du sommet du 14 juin au Conseil Européen des 24 et 25 juin)

29 juin 2021

Par Philippe COSTE, Ancien Ambassadeur

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Le Conseil européen de jeudi et vendredi derniers suivait de peu la tournée européenne de Joe Biden et l’effet de la rencontre avec les responsables de l’UE sur la réunion des Vingt-Sept n’a pas manqué de se faire sentir à plusieurs égards.

 

Le Sommet Europe – Etats-Unis

On se souvient que parmi les étapes de cette tournée, s’était inséré un bref mais significatif arrêt à Bruxelles : 90 minutes d’entretien avec Charles Michel et Ursula von der Leyen. Les trois protagonistes s’étaient entendus pour s’atteler ensemble à quatre tâches prioritaires :

  • vaincre la COVID-19 et se préparer à relever les défis sanitaires à venir,
  • protéger la planète et verdir la croissance,
  • renforcer les échanges, l’investissement et la coopération technologique et enfin,
  • bâtir un monde plus démocratique, plus pacifique et plus sûr.

Plus généralement, ils se sont déclarés engagés à soutenir un ordre international fondé sur des règles, centré autour des Nations-Unies, à revigorer et réformer, là où c’est nécessaire, les institutions multilatérales et à coopérer avec tous ceux qui partagent cet objectif.

Cette phraséologie, qui pourrait passer pour du robinet d’eau tiède, constitue en fait un hommage du Nouveau Monde à l’Ancien. Les quatre domaines de coopération retenus sont précisément ceux que l’Union Européenne avait proposé aux Etats-Unis dans le « nouvel agenda transatlantique » qu’elle avait adressé à Joe Biden dès le 2 décembre 2020. Sur les 2ème et 3ème points, le communiqué reprend même textuellement l’idée de l’Union de créer un Groupe de travail de haut niveau sur le climat et d’instituer un Conseil du Commerce et de la Technologie (Trade and Technology Council).

Plus généralement, après les quatre années de tension qui ont marqué la présidence Trump, cette rencontre s’inscrivait dans un contexte de retrouvailles quasi euphoriques. A la veille du Sommet, plusieurs sujets de désaccord qui s’envenimaient depuis des années ont trouvé des solutions ou des apaisements, au moins provisoires. C’est le cas du contentieux Airbus-Boeing, vieux de 17 ans, où les hostilités ont été suspendues pour 5 ans, en espérant qu’une solution de fond pourra être trouvée d’ici là. Dans le même esprit, les sanctions américaines sur le gazoduc Nord Stream 2 ont été levées. D’autre part, peu auparavant, après des années de blocage et de récriminations, les ministres des finances du G7 étaient tombés d’accord sur le principe et les grandes lignes de la taxation des services numériques et sur l’instauration d’un impôt minimum sur les sociétés, ouvrant ainsi des perspectives très prometteuses pour l’économie mondiale.

Aussi bien, on peut dire que, dans l’ensemble, Joe Biden a redonné une bonne dose de confiance en soi aux responsables européens.

 

Relations Europe – Russie

Autre sujet sur lequel Joe Biden aurait pu inspirer l’Union Européenne mais ne l’a fait que partiellement : les relations avec la Russie. Depuis l’invasion de la Crimée en 2014, ces relations n’ont cessé de se détériorer. Encore tout récemment, elles ont été marquées par un voyage humiliant à Moscou de Josep Borell, le ministre des Affaires étrangères de l’Union, au cours même duquel son homologue russe n’a pas hésité à annoncer l’expulsion de diplomates européens. Peu avant la réunion du Sommet des Vingt-Sept, le 16 juin, un papier stratégique avait été préparé qui en tirait les conséquences : il envisageait une nouvelle dégradation des relations avec la Russie et appelait notamment l’Union à lutter plus systématiquement contre les actions malveillantes de ce pays.

On sait qu’Angela Merkel et Emmanuel Macron ne se satisfont pas de cette ligne purement négative. La rencontre Biden-Poutine, sans la moindre concession sur le fond mais qui avait le mérite d’ouvrir des perspectives, leur a fourni un modèle pour revenir à la charge. Pourquoi les Européens ne feraient-ils pas la même chose ? Dire ses quatre vérités au Président russe mais en face, de façon à pouvoir détecter d’éventuelles possibilités de déblocage. Au surplus, dès lors qu’un dialogue s’engage entre Washington et Moscou, il importe que les Européens ne restent pas à l’écart s’ils veulent participer à la solution des problèmes. C’est ainsi qu’à la veille même de la réunion des 24-25 juin, ils ont demandé que le Conseil Européen se prononce plutôt sur une proposition d’« engagement sélectif » qui pourrait porter sur une vaste gamme de sujets : le climat, l’environnement, l’océan arctique, la coopération transfrontalière, la santé, l’espace, le terrorisme, la Syrie, l’Iran, à quoi s’ajouterait néanmoins la recherche de réponses fermes et coordonnées à toute « activité malveillante, illégale et perturbatrice » de la Russie, y compris les sanctions économiques ainsi qu’une révision des « formats existants de dialogue ».

C’était compter sans les Baltes et les Polonais. A la réunion des Vingt-Sept, avec l’appui des Néerlandais et des suédois et de tous ceux qui soupçonnent l’Allemagne de rouler pour ses entreprises plutôt que pour l’Europe, les voisins directs de la Russie ne se sont pas fait faute d’évoquer tous les désastreux précédents historiques d’ententes germano-russes par-dessus leurs têtes et ont refusé hautement la reprise du dialogue tant que Moscou n’aurait pas donné des signes de désescalade et rempli un minimum de conditions préalables. Le Conseil Européen a donc écarté l’idée d’un sommet UE-Russie. Et sur les sujets susceptibles d’être discutés avec Moscou, il a pratiqué de larges coupes. L’espace, l’arctique, le terrorisme et le crime organisé en ont fait les frais.

C’est donc une franche fin de non-recevoir qu’a reçue la proposition franco-allemande. Les commentateurs y ont vu un signe qu’Angela Merkel, à la veille de quitter ses fonctions à la chancellerie, avait bien perdu de son autorité. Mais c’est aussi la conséquence d’une initiative présentée sans préavis sur un sujet très controversé. Le temps a manqué pour faire le travail d’explication qu’aurait mérité un tel changement de pied. Loin d’être définitivement enterrée, la question refera sans doute surface à la première occasion. Ici, l’exemple offert par Joe Biden n’aura donc pas été suivi, pour le moment en tout cas.

 

Le cas de la Hongrie

L’autre question sur laquelle les Vingt-Sept se sont beaucoup animés est celle de la nouvelle législation hongroise interdisant les références à l’homosexualité ou aux questions transgenres dans le matériel scolaire et les médias destinés aux moins de 18 ans. C’est évidemment un exemple de la manière dont Budapest n’hésite pas à prendre de front les valeurs européennes mais c’est aussi un signe du degré d’exaspération que suscite désormais Victor Orban, un peu comme une goutte d’eau fait déborder un vase. Car cette législation fait suite à une longue liste de provocations en tous genres de la part de ce militant de l’illibéralisme.

Que celui-ci se soit fait vertement interpeller, jeudi dernier, par la quasi-totalité de ses collègues doit sans doute beaucoup à son départ du PPE. A l’abri du Parti Populaire Européen, parti le plus nombreux du Parlement Européen, celui d’Angela Merkel, il a pu longtemps multiplier impunément les prises de position contraires à l’esprit européen : cette protection est maintenant perdue. Mais la libération spectaculaire de la parole européenne à laquelle on vient d’assister doit aussi, n’en doutons pas, au fait que Donald Trump a disparu de l’horizon politique et que Joe Biden a encouragé sans modération l’Union à poursuivre dans sa voie.

Toujours est-il que les horions n’ont pas manqué sur les oreilles de Viktor Orbán. Parmi les très nombreux participants qui se sont relayés dans la critique, on a même entendu le Néerlandais inviter le Hongrois à déclencher l’article 50 du traité de Lisbonne, celui par lequel un Etat membre demande à se retirer de l’Union. A certains égards, cette façon de ne pas prendre de gants pour se mêler de la législation interne d’un partenaire est aussi un indicateur du degré d’intimité qui caractérise désormais les relations entre les Vingt-Sept. Au Conseil Européen, loin des bonnes manières diplomatiques de jadis, on s’interpelle maintenant comme dans un parlement national. C’est un signe de la lente érosion de la respectueuse distance qui a longtemps marqué les relations entre partenaires en Europe, a fortiori lorsqu’il s’agir de chefs d’État ou de gouvernement. Un signe de plus, en son genre, que l’intégration européenne se poursuit et se renforce.

Au bout du compte, tout se passe comme si la coopération européenne se banalisait. L’ordre du jour de la réunion du Conseil Européen, ces 24 et 25 juin, touchait à des sujets aussi divers que la covid-19, la cybersécurité, les migrations, la relance économique, la Turquie, la Biélorussie, le Sahel… Dans les jours qui ont précédé et dans ceux qui ont suivi, Ursula von der Leyen est allée à Lisbonne, à Rome, à Paris et ailleurs pour marquer le lancement des programmes nationaux mis au point avec la Commission européenne au titre de l’initiative « New Generation European Union », celle à 750 milliards d’euros. Cahin-caha, avec des hauts et des bas et de toutes sortes de manières dont les coups de pouce de Joe Biden, l’Europe continue donc sa marche en avant…

 

Philippe COSTE, Ancien Ambassadeur

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