Le Sommet de Carbis Bay, première occasion de rencontre physique entre les Sept depuis près de deux ans et première entre le nouveau président des Etats-Unis et la plupart de ses homologues des pays industrialisés, était clairement destiné à faire passer deux messages : d’une part que la page « Trump » enfin tournée, il est temps de reprendre l’action commune entre partenaires naturels ; d’autre part que les démocraties, loin d’être condamnées par la roue de l’histoire, sont mieux capables que les autocraties de répondre aux besoins du monde d’aujourd’hui (à bon entendeur, salut!).
Pour ce faire, deux sujets s’imposaient à l’évidence : la situation sanitaire, toujours très préoccupante et la situation climatique qui ne cesse de se dégrader. Mais au-delà, c’est aussi de la Chine qu’il a été question.
La pandémie
Sur le premier point, si la maladie recule nettement dans les pays du Nord, elle n’en montre guère de signes dans ceux du Sud. Par exemple à ce jour, 45% de la population du G7 a reçu au moins une dose de vaccin contre 2% des 44 pays africains pour lesquelles les données sont disponibles. C’est évidemment une grave faillite morale. C’est aussi un sérieux risque économique puisque la persistance de la pandémie au Sud ne manque pas d’hypothéquer la reprise mondiale. Or, les Sept se sont fixé à Carbis Bay l’objectif d’éradiquer la COVID-19 en 2022, ce qui suppose de vacciner au moins 60% de la population mondiale…
Pour ce qui la concerne, l’Union Européenne est bien consciente de l’enjeu. Sur les 700 millions de doses produites sur son sol, elle en a déjà exporté 350 vers 90 pays. En revanche les autres membres du G7, notamment les Etats-Unis et le Royaume-Uni, ont réservé à leur propre population la totalité des vaccins produits, au point que l’activisme de la diplomatie vaccinale chinoise et russe les font apparaître comme particulièrement égoïstes. Pour redorer leur image, le G7 a adopté le 12 juin un plan « pour vacciner le monde », qui promet de livrer 1 milliard de doses aux pays pauvres d’ici à 2022. Sur ce total, Joe Biden s’est engagé pour 500 millions, les Britanniques et Canadiens pour 100 millions chacun et le Japon, qui vaccine peu, pour 30. L’Union Européenne a indiqué qu’elle avait d’ores et déjà livré très largement plus que tous les autres et qu’elle allait continuer.
Plus généralement, les Sept se sont engagés à mobiliser tous leurs moyens – scientifiques, techniques, juridiques, financiers – pour soutenir l’effort de vaccination mondiale et pour renforcer leur coopération avec l’OMS et le COVAX.
Au delà de l’objectif immédiat de vaincre la COVID-19, les Sept se sont mis d’accord sur un plan d’action pour prévenir de futures pandémies. Une série d’engagements ont été pris en matière de politique sanitaire, avec des mesures collectives, notamment visant à réduire à moins de 100 jours le temps nécessaire pour mettre au point et autoriser vaccins, traitements et diagnostics pour toute maladie future, et visant à renforcer les réseaux mondiaux de surveillance. Il s’agit d’empêcher qu’une nouvelle pandémie mondiale puisse se reproduire, avec le cortège de ravages que nous expérimentons. Dans la foulée, les Sept ont appelé à poursuivre l’enquête sur les origines du virus en Chine, conformément au Règlement sanitaire international de 2005. Ils ont précisé que « cela comprend les enquêtes, la déclaration et l’intervention en cas d’éclosions d’origine inconnue [et ils ont appelé] à la mise en œuvre d’une étude de phase 2 sur les origines de la COVID-19, organisée par l’OMS, et qui soit rapide, transparente, dirigée par des experts et fondée sur des données scientifiques, y compris, comme le recommande le rapport des experts, en Chine ».
Le climat
Sur la question climatique, le G7 a réaffirmé son engagement à atteindre, voire dépasser, les objectifs des accords de Paris : limiter la hausse des températures à 1,5°C, supprimer les émissions de gaz à effet de serre pour 2050 au plus tard et les réduire de moitié d’ici à 2030, protéger au moins 30% des terres et océans également d’ici à 2030 et améliorer la finance climat. A cet égard, il s’est engagé à mobiliser davantage de moyens financiers pour venir en aide aux efforts d’atténuation et d’adaptation consentis par les pays en développement. Il s’agit en fait de combler l’écart d’environ 20% qui subsiste entre le montant sur lequel ils se sont engagés – 100 Mds $/an à partir de 2020 – et celui effectivement atteint, qui se situe autour de 80.
Les Sept ont également appelé à cesser d’investir dans les centrales à charbon et à supprimer les subventions encore existantes dans ce domaine.
La Chine
Mais surtout, l’engagement évoqué sur la finance climat s’est inscrit dans un cadre beaucoup plus large, celui d’une vaste initiative visant à répondre à celle que Xi Jinping a lancé il y a déjà huit ans bientôt, l’initiative sur les Nouvelles Routes de la Soie, dite encore « La Ceinture et la Route » (Belt and Road Initiative, ou BRI). Les Sept ont eu en effet un large échange de vues sur la conduite à tenir à l’égard de la Chine. S’ils sont tombés d’accord sur une attitude proche de celle de l’Union Européenne – coopération sur les sujets d’intérêt commun comme le climat, compétition dans les domaines tels que les chaînes de valeur et opposition sur les questions de Droits de l’Homme – ils ont aussi voulu offrir au monde extérieur et aux PVD en particulier une alternative démocratique à la BRI, jugée peu transparente, peu respectueuse de l’environnement et des standards internationaux relatifs au travail, volontiers coercitive, et qui au total pouvait aboutir à détériorer la situation des pays supposés en bénéficier. Ils ont donc décidé de proposer cette alternative qui refléterait leurs valeurs, leurs standards et leur manière de faire des affaires.
Sous le nom de « Build Back Better World » (soit B3W), l’initiative lancée à Carbis Bay concrétise donc le consensus du G7 sur la nécessité d’une approche commune de la Chine en matière de commerce et de droits de l’homme. Le G7 entend mobiliser des capitaux du secteur privé dans des domaines tels que le climat, la santé et la sécurité sanitaire, mais aussi la technologie numérique, l’équité et l’égalité des sexes, le tout pour un montant estimé à 40.000 Mds $ d’ici à 2035.
Plus spécifiquement, les Sept se sont déclaré préoccupés par le recours à toutes formes de travail forcé, notamment de populations vulnérables et de minorités, dans les chaînes de valeur mondiales. Ils ont appelé la Chine à respecter les droits de l’Homme et les libertés fondamentales, particulièrement au Xinjiang et à Hong Kong.
Au bout du compte, que penser de ce G7 ?
Après « America is back », on a maintenant « West is back ». Pour mesurer le chemin parcouru, il n’est que de se souvenir du G7 de 2018, celui que Donald Trump avait quitté avec fracas, désavouant le communiqué final et qualifiant Justin Trudeau, l’hôte du sommet, de faible et de malhonnête. A Carbis Bay, tout n’était qu’harmonie et sérénité, avec, en prime, de la substance : un communiqué de 25 pages, inhabituellement détaillé dans ce type de réunions.
Sur le fond, beaucoup de bonnes résolutions mais peu d’engagements précis. Le chiffre d’un milliard de doses de vaccin à livrer aux pays pauvres peut faire impression, il est hélas tardif et peu ambitieux s’il s’agit de traiter 60 % de la population mondiale : l’OMS chiffre les besoins à 11 fois plus. L’intention de relancer la finance climat, si louable qu’elle est, ne s’appuie sur aucune disposition concrète. La taxe carbone aux frontières n’est pas évoquée : les Sept se bornent à reconnaître qu’il existe des risques de fuites de carbone et qu’il faudra « travailler ensemble » pour en traiter. Quant au « B3W », la grande initiative destinée à concurrencer la BRI chinoise, on est laissé dans l’inconnu sur la manière de mobiliser les 40.000 Mds $ estimés nécessaire d’ici à 2035 pour la réaliser, si tant est que les PVD seront intéressés.
Les références explicites à la Chine sont nombreuses, ce qui n’était pas le cas au précédent G7. Elles reviennent à propos de différents sujets, plus souvent sur le mode critique que sur celui de la coopération. Dans leurs déclarations en marge du sommet, les Européens se sont efforcés de modérer le ton, laissant apparaître un écart avec leurs collègues d’outre océans. Il n’empêche : les points sont bien mis sur les i.
Avec le sommet de l’Alliance Atlantique de ce jour puis avec la rencontre Biden-Poutine de mercredi, on va pouvoir mesure encore plus précisément comment va évoluer dans les prochaines années la relation entre démocraties et autocraties. La suite au prochain numéro.
Philippe COSTE, Ancien Ambassadeur