- Les élections britanniques ont été marquées par une victoire éclatante des travaillistes, menés par Keir Starmer, face aux conservateurs.
- Même si ce scrutin met un terme à une longue période à la dérive populiste, cette victoire demeure fragile.
- Il convient de suivre de près l’évolution politique qui en découlera pour les relations avec l’UE et la coopération en matière de défense.
Comme les sondages le laissaient prévoir, les élections britanniques du 4 juillet dernier se sont soldées par une victoire écrasante du parti travailliste (Labour Party). En raflant 411 sièges à la chambre des Communes contre 121 aux conservateurs et 89 aux petits partis, il réalise son deuxième meilleur score depuis la seconde Guerre Mondiale, à peine inférieur (de six sièges) à celui de Tony Blair en 1997.
Ce triomphe, le parti le doit d’abord à lui-même et plus précisément à son chef, Keir Starmer. Celui-ci, par une action déterminée et parfois brutale, a su se débarrasser de son encombrant prédécesseur, Jeremy Corbyn, dont les prises de position gauchistes et parfois antisémites, avaient inquiété les électeurs et servi de repoussoir commode aux Conservateurs. L’épouvantail mis à l’écart, l’influence de l’aile gauche du parti s’en est trouvée tout naturellement amoindrie et ce sont donc des Travaillistes recentrés qui ont pu gagner la faveur des urnes.
Le très lourd bilan des Tories y a aidé peut-être plus encore. Comme ailleurs à travers l’Europe, le gouvernement a dû faire face à l’austérité, à la Covid-19, au choc des prix de l’énergie mais en plus, il a dû répondre du Brexit, du mandat désastreux de Liz Truss, de l’éviction de Boris Johnson, accusé d’avoir menti au Parlement, d’une immigration record, d’une charge fiscale atteignant son plus haut niveau depuis 70 ans et de listes d’attente pour le Service de Santé s’élevant à 7,5 millions de personnes. C’est cette accumulation de mauvais points que Rishi Sunak s’est montré incapable d’atténuer ni de faire oublier. Au total, la population n’a jamais été aussi insatisfaite de ses gouvernants et le parti Tory en paye les conséquences : il réalise son plus mauvais résultat depuis… 1834.
A vrai dire, l’écart entre Travaillistes et Conservateurs ne serait pas si vertigineux s’il n’y avait l’effet déformant du mode de scrutin britannique. La dissidence de Nigel Farrage n’a guère permis à son parti, Reform UK (ex-UKIP), de gagner plus de 5 sièges mais en présentant des candidats dans de nombreuses circonscriptions, il a divisé le vote de droite et assuré des dizaines de sièges au Labour. Au total, avec 34% des voix obtenues au niveau national, les Travaillistes remportent 64% des sièges aux Communes. Il y a moins de cinq ans, avec un demi-million de voix « en plus », Jeremy Corbyn avait subi une lourde défaite face à Boris Johnson. En fait, le vote du 4 juillet exprime moins un soutien au Labour qu’un rejet des Tories.
Tout cela signifie que la victoire de Keir Starmer est fragile. S’il veut garder, au sein des différentes tendances qui se partagent le parti, l’équilibre centriste qui lui a permis de l’emporter, il devra rapidement apporter des améliorations tangibles à la situation profondément dégradée que connaît le Royaume-Uni depuis une demi-douzaine d’années au moins. Avec une majorité aussi large que celle qu’il a gagnée, le risque majeur est celui des divisions internes à son parti. Sur des sujets comme l’immigration, elles auront vite fait d’apparaître.
A quels changements devons-nous nous attendre avec le nouveau gouvernement britannique ? Celui-ci cherche à améliorer ses relations avec l’Union Européenne mais n’entend pas revenir sur le Brexit et maintient même trois « lignes rouges » : ni union douanière, ni adhésion au marché unique, ni liberté de circulation. En pratique cette position de principe va inévitablement limiter les améliorations possibles. Dans l’immédiat, soucieux de réduire, voire d’éliminer, les coûteux contrôles sanitaires aux frontières sur les produits alimentaires, Londres souhaite en tout cas conclure rapidement avec Bruxelles un accord vétérinaire. Ce premier pas pourrait être suivi d’autres visant à faciliter les échanges au-delà de ce premier secteur, donc à aligner la réglementation britannique des biens et des produits sur celle de l’UE, aussi bien la réglementation actuelle que potentielle puisque celle-ci est en constante évolution. Pareil alignement suppose que le Royaume-Uni devienne un « preneur de règle » et accepte un contrôle de la Cour de Justice de l’UE : une couleuvre à avaler mais qui aurait beaucoup d’avantages pratiques. Nous pouvons cependant envisager que, dans certains domaines nouveaux – en particulier l’intelligence artificielle –, une coopération soit établie entre les deux parties afin de se concerter sur les règles à définir.
Mais c’est surtout dans le domaine de la politique étrangère et de la défense, avec la guerre en Ukraine et la perspective d’une possible réélection de Donald Trump, qu’un resserrement des liens entre le Royaume-Uni et le continent correspond à une préoccupation commune et à l’intérêt bien compris des deux parties. Ce ne sera pas si simple, notamment dans le secteur-clé de la coopération en matière d’armements, où domine la concurrence entre les industries nationales. Beaucoup dépendra de la pression qu’exercera la situation internationale.
De façon générale, avec ces élections, le pays se remet lentement de la dérive populiste qui a culminé avec le Brexit et le passage de Boris Johnson au 10 Downing Street. Aujourd’hui, 71% des britanniques en sont arrivés à considérer que c’est bien la sortie de l’UE qui a provoqué la profonde détérioration de la situation économique. Autrement dit, le rêve que des solutions simples puissent résoudre des problèmes compliqués apparaît pour ce qu’il est, à savoir, un illusoire phantasme. Il est heureux que les Britanniques remettent les pieds sur terre mais il reste que le mal est fait et que les dommages prendront beaucoup de temps à réparer.
La leçon mérite d’être méditée en Europe, où la tentation populiste reste largement présente : en Hongrie de Viktor Orban et en Italie de Giorgia Meloni, mais aussi aux Pays-Bas de Geert Wilders, en Allemagne avec Alternative Für Deutschland (AfD), en Autriche avec le Parti de la Liberté (en tête dans les sondages) et naturellement en France où le Rassemblement National (RN) a pu, un temps, donner l’impression qu’il allait atteindre la majorité absolue aux élections du 9 juillet. Nous avons tous intérêt à ce que Keir Starmer réussisse.
Pour aller plus loin :
Relire – À propos des élections au Portugal (10 mars 2024)
Revoir – Un livre, un auteur : « Post-populisme » par Thibault Muzergues