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#Chine, Europe, Multilatéralisme

L’UNION EUROPEENNE A PEKIN ou LE SOMMET DE LA FRANCHISE

15 décembre 2023

par Philippe COSTE, Ancien Ambassadeur

A San Francisco, venant après une période de fortes tensions Etats-Unis – Chine, la rencontre entre Joe Biden et Xi Jinping avait produit une impression de soulagement. Entre Bruxelles et Pékin, le climat général des relations étant moins houleux, le sommet Union Européenne – Chine donne plutôt le sentiment d’une déception. Mais tout cela est une pure question d’atmosphère. Sur le fond, la situation n’est guère différente : il n’est pas facile de faire bouger l’Empire Céleste.

Charles Michel et Ursula von der Leyen ont bien vidé tout leur sac, y compris sur les sujets qui fâchent, avec en particulier une invitation à amener la Russie à cesser son agression sur l’Ukraine, l’expression de « fortes préoccupations » quant à la situation des droits de l’Homme en Chine, notamment au Xinjiang au Tibet et à Hong Kong, et un appel insistant à rééquilibrer les relations économiques et commerciales bilatérales… Tout cela a laissé, dit-on, Xi Jinping et Li Qiang de marbre.

Sur les deux premiers sujets, les institutions européennes n’ont pas le monopole de la compétence et les Etats membres, surtout les plus importants d’entre eux, sont mieux placés qu’elles pour en parler. Il n’en va pas de même des relations commerciales. Là, l’Union est exclusivement compétente et représente le vrai poids lourd face à la Chine. La manière dont elle allait présenter son analyse et faire valoir sa position était particulièrement attendue. Car la situation à cet égard a sensiblement évolué ces derniers temps et évolué dans le mauvais sens.

Déjà au départ, il y a la difficulté bien connue d’accès au marché chinois et le soutien massif de l’État à bon nombre de ses entreprises exportatrices. Ce sont les éléments qui expliquent le déficit du commerce extérieur de l’Union : il existe depuis longtemps et, dans les dernières années, évoluait doucement entre 100 et 200 Mds d’euros. Or, depuis 2020, il s’est brusquement envolé pour atteindre, en 2022, le chiffre record de 400 Mds d’euros.

L’Union constate que ce dérapage coïncide avec l’augmentation de la capacité industrielle chinoise, notamment dans les produits d’énergie renouvelable, à un moment où sa demande intérieure stagne et où d’autres de ses partenaires commerciaux limitent l’accès à leurs marchés. Il s’ensuit que le continent européen devient le principal déversoir des exportations chinoises. C’est le cas en particulier pour les véhicules électriques qui peinent à pénétrer les marchés de Turquie, d’Inde ou des Etats-Unis, dans ce dernier cas protégé par des droits de douane de 25 %. En outre, la surcapacité manufacturière chinoise est activement soutenue par l’État, qu’il la subventionne directement ou qu’il encourage les banques d’État à la financer. En effet, celles-ci, ayant beaucoup réduit les nouveaux prêts au secteur immobilier, les ont redéployé largement vers l’industrie, notamment dans les technologies de pointe et dans l’industrie verte. Par rapport à l’année dernière, ce type de prêt a augmenté d’un tiers au troisième trimestre de 2023. Au total, pense-t-on à Bruxelles, au cours des cinq années précédant 2022, les différents concours apportés au secteur manufacturier se chiffreraient par centaines de milliards d’euros, dont 55 Mds de l’État central pour les seuls constructeurs automobiles, à quoi s’ajoutent des montants mal connus provenant des gouvernements provinciaux et locaux. Ainsi, la Chine perdrait 30 000 euros sur chaque véhicule électrique qu’elle produit. Vu la place de l’industrie automobile dans la production et l’emploi d’un bon nombre d’Etats membres de l’Union, cette évolution pourrait devenir extrêmement dangereuse. Il ne faudrait pas reproduire ici ce qui s’est passé il y a dix ans avec l’industrie européenne des panneaux solaires.

La Commission a donc ouvert le 4 octobre 2023, deux mois avant le sommet, une enquête anti-subventions sur les importations de véhicules à batterie en provenance de Chine. Pékin a qualifié cette initiative d’« acte protectionniste éhonté ». Pareille indignation donne plutôt à penser que la République populaire a bien quelque chose à cacher et redoute qu’à l’issue de ses investigations, l’Union lui applique des droits compensateurs.

En tout cas, c’est sur cette affaire de relations commerciales que résidait le principal enjeu pratique des discussions au sommet. Les relations internationales étant ce qu’elles sont, il ne fallait pas s’attendre à ce que la Chine concède le point à l’Union. Du moins est-il important que les deux parties aient évoqué le sujet sans fard. Pékin a sûrement compris le message : si rien ne change, force sera à Bruxelles de prendre des mesures.

En vérité, c’est sans doute cette franchise des échanges qui aura été la principale – et heureuse – nouveauté du sommet. Jusqu’à présent, l’Union avait plutôt fait preuve de longanimité, voire de complaisance dans ses relations avec la République populaire. Ce n’est plus le cas et la partie chinoise n’a pas manqué de relever ce changement de ton. Et ce qui est vrai des questions commerciales l’est aussi des affaires de droits de l’Homme ou de ce qui concerne l’agression russe sur l’Ukraine, et d’ailleurs de tout le reste : vous avez votre position, nous avons la nôtre ; vous n’en changerez sans doute pas mais nous en tirerons les conséquences.

 

Philippe COSTE, Ancien Ambassadeur

 

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