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Sélectionnée dès le premier tour de scrutin – une première depuis vingt ans – pour accueillir l’Exposition Universelle de 2030 grâce à une majorité écrasante (119 voix sur 165, contre seulement 29 pour Busan et 17 pour Rome), Riyad renforce encore un peu plus sa position sur la scène internationale, après avoir obtenu l’organisation des Jeux asiatiques d’hiver en 2029 et de la Coupe du Monde de football en 2034, et poursuit sa stratégie globale de revalorisation de son image.
Promettant « une version exceptionnelle et sans précédent » de cet évènement, le prince héritier Mohammed ben Salman entend aussi tirer profit de cette occasion pour mettre en lumière son plan Vision 2030, dont l’objectif est d’assurer la transition du royaume vers un modèle de développement économique durable et plus ouvert sur le monde. A l’instar des éditions de 1992 à Séville, qui marque l’entrée de l’Espagne dans la Communauté européenne, de 2000 à Hanovre, qui symbolise la réunification allemande, ou encore de 2010 à Shanghai, l’Exposition Universelle de 2030 constitue un rite de passage lors duquel le pays hôte dresse un bilan de sa situation et se projette vers l’avenir avec des ambitions.
Il convient de rappeler que ces grandes manifestations ont pourtant été délaissées un temps avant de faire l’objet d’un regain d’intérêt depuis 1992, date à partir de laquelle le nombre de visiteurs a progressivement augmenté, avec un record de 73 millions de personnes en 2010 à Shanghai. Bénéficiant d’une acuité nouvelle, les expositions universelles ont attiré l’attention des gouvernements comme des chefs d’entreprise, qui ont pris conscience de l’intérêt d’une bonne image de marque dans le contexte de la globalisation et de la mondialisation, et sont ainsi devenues des outils de relations internationales et diplomatiques.
Ces rendez-vous suscitent également l’intérêt des grandes entreprises qui saisissent cette opportunité pour mieux se faire connaître à l’échelle mondiale et développer leurs activités dans d’autres régions. A titre d’exemple, lors de l’édition de Dubaï reportée à 2021 et 2022 en raison de la pandémie, le cheikh Mohammed ben Al Maktoum avait résolument placé le continent africain au cœur de l’évènement en dédiant un pavillon propre à des organisations internationales telles que l’Union Africaine et la Ligue arabe afin de développer des relations diplomatiques et économiques avec des pays situés au-delà de la Corne de l’Afrique – à laquelle se limitaient les investissements des EAU jusqu’à présent. Toutefois, ce tournant n’est pas nouveau car il remonte à l’Exposition Universelle de New York (1939-40) où les entreprises américaines furent invitées en masse pour célébrer le retour à la croissance après la crise de 1929.
Les expositions universelles ont été historiquement créées pour présenter la vitrine artistique et technique des différentes nations dans le contexte de la révolution industrielle, avant d’être agrémentées de préconisations définies par le Bureau international des expositions, mis en place en 1928 pour mieux les distinguer des expositions spécialisées (nationales, coloniales, etc.). Bien que leur dimension culturelle demeure, elles sont aujourd’hui avant tout un moteur pour les stratégies d’influence, de marketing, de relations publiques et de développement de l’attractivité des investissements. En témoigne l’exemple du pavillon français à Dubaï au sein duquel la gastronomie, le patrimoine architectural et la mode étaient mis à l’honneur au même titre que Renault, le Centre national des études spatiales (CNES) et Accor.
Les EAU se sont en outre illustrés en organisant la plus grande exposition universelle jamais construite, étalée sur près de 5 km2, ainsi qu’en devenant le premier pays du golfe à en accueillir une depuis 1851. L’Exposition Universelle de Riyad 2030 s’inscrit donc dans le prolongement de cette percée du Moyen-Orient dans le cercle restreint des pays organisateurs de grandes manifestations culturelles internationales. Ce vote des Etats membres du BIE illustre par ailleurs une affirmation de plus en plus marquée des BRICS, dont l’Arabie saoudite sera bientôt membre de façon effective à compter de janvier 2024.
Depuis quelques années, le gouvernement saoudien mobilise des ressources financières considérables dans l’art et la culture, selon une approche « top-down », afin de stimuler la scène artistique nationale et de faire émerger un marché de l’art dynamique dans le pays et non plus tourné vers Londres, Paris ou Dubaï. Cette stratégie répond à la volonté affichée de diversifier les activités du royaume, permise notamment grâce à un fonds d’investissement public alimenté par la rente pétrolière. L’exposition universelle s’apparente ainsi à une apothéose et permettra de mettre en lumière des projets phares tels que la valorisation du site archéologique Al-Ula, le parc de loisir Qiddiya et la ville futuriste NEOM.
Pour rappel, le plan Vision 2030, lancé en 2016, intervient à un moment où l’Arabie saoudite se situe dans une phase de transition. Alors que son modèle économique est très dépendant du commerce d’hydrocarbures (en particulier des revenus pétroliers qui représentent 90% de ses recettes), le creusement du déficit budgétaire et l’érosion de ses réserves de change ont été le déclic à l’origine de cette révolution économique. Pour voir le jour, elle s’accompagne de grandes mesures économiques sans précédent, passant par la baisse des subventions, la création de nouvelles taxes et la mise en place d’un « Citizen Account Program » pour soutenir les populations les plus défavorisées.
Ironiquement, l’objectif fixé par Vision 2030 vise à atteindre le niveau de développement de la Corée du Sud… A terme, les recettes tirées des nouveaux pôles de développement devront être équivalentes à celles engrangées grâce à la manne pétrolière. Le pays nourrit l’ambition de devenir un leader dans le domaine des énergies renouvelables, une destination touristique de premier choix (notamment grâce à ses investissements dans le domaine des transports et sa position au carrefour de trois continents) et l’une des premières industries de défense (50% des équipements seront produits sur place, générant ainsi plus de quarante mille emplois). La part des produits non manufacturés (engrais, aluminium) devrait aussi progresser dans les exportations jusqu’à atteindre 50% du PIB, contre 16% aujourd’hui. D’autres secteurs font enfin l’objet d’une attention particulière comme l’agriculture, de manière à assurer l’indépendance alimentaire du pays, et l’industrie pharmaceutique pour cesser d’importer la totalité des médicaments et alléger la balance commerciale.
Enfin, le choix de Riyad consacre le retour en grâce de Mohammed ben Salmane sur la scène médiatique mondiale à la faveur de l’évolution de la conjoncture géopolitique, et permet d’éclipser quelque peu le souvenir de l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi en 2018. Après avoir reçu le président américain Joe Biden à Riyad en juillet 2022 avant se présenter en médiateur dans le conflit en Ukraine en obtenant la libération de prisonniers internationaux en septembre 2022, le prince héritier avait ensuite ouvert la porte à une possible normalisation des relations avec ses deux principaux rivaux dans la région du Moyen-Orient que sont la Syrie et l’Iran en mars 2023. Il s’est en outre impliqué dans l’élaboration d’un éventuel plan de paix ukrainien en dix points suite à la visite du président Volodymyr Zelensky durant le sommet de la Ligue arabe à Djeddah en mai 2023. Enfin, il a effectué une visite d’Etat à Paris en juin 2023. Profitant ainsi de cette restauration d’image, le royaume s’impose au cœur du paysage international, à la fois en tant qu’acteur-clé dans le jeu des relations internationales, en tant que partenaire essentiel à l’Occident face à la crise énergétique, et désormais en tant que place culturelle incontournable.
Accueillir l’Exposition Universelle de 2030 est un pari osé pour Riyad, dans la mesure où cette échéance ajoute une pression supplémentaire pour le royaume qui, exposé sous le feu de projecteurs, sera tenu de faire le bilan de son plan Vision 2030. Même si plusieurs projets sont déjà bien avancés, le calendrier reste serré et il est probable qu’ils ne soient pas tous concrétisés dans les délais impartis. Néanmoins, l’exposition offrira une visibilité sans égal sur laquelle le pays compte capitaliser pour son développement à moyen et long-terme.
Samuel EVENO, Chargé de mission
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