Téléchargement
C’est donc Mike Johnson qui a fini par émerger du marécage où les représentants républicains s’étaient eux-mêmes enlisés. Le nouveau chef de file du Grand Old Party, jusque-là personnalité de petite notoriété, doit moins son élection à des mérites exceptionnels tardivement découverts qu’à l’épuisement de ses collègues. Après la défenestration de l’ancien Président, Kevin McCarthy, et trois semaines de vaine agitation passées à tenter de forcer, autour de trois candidats successifs, un consensus inatteignable, le caucus s’est finalement mis d’accord sur le dernier homme debout.
Maintenant à la tête de la Chambre des Représentants, Mike Johnson est le républicain le plus puissant d’Amérique et le deuxième dans l’ordre de succession présidentielle. Jeune pour la fonction (51 ans), sans grande ancienneté à la Chambre (6 ans) mais humainement sympathique, aux manières douces appréciées de ses collègues, il est aussi, vraisemblablement, la haute personnalité des Etats-Unis la plus marquée à droite depuis la guerre de Sécession, en cela parfaitement en phase avec le virage ultra conservateur du parti républicain de ces dernières années – à moins qu’il ne soit plus probablement en avance sur lui.
Mike Johnson est d’abord un chrétien évangélique fondamentaliste, convaincu que Dieu l’a préparé et choisi pour ce poste. Il est naturellement réactionnaire et intransigeant sur toutes les grandes questions de société. Il croit que l’homosexualité n’est pas naturelle et devrait être mise hors la loi, il soutient une interdiction fédérale de l’avortement quelles que soient les circonstances de la conception. Comme chez tous les extrémistes de la Bible Belt, son soutien indéfectible à la protection et au renforcement de l’État d’Israël s’accommode sans difficulté d’un antisémitisme au moins théologique puisque les Ecritures nous enseignent qu’à la fin des temps, la seconde venue du Christ s’accomplira quand les justes monteront au ciel et que les autres, y compris les Juifs enfin réunis à Jérusalem, seront anéantis.
Mike Johnson est également tout à son aise avec la tendance au repli sur soi qui domine le parti républicain depuis la présidence Trump. En politique étrangère en particulier, il n’est pas loin de considérer que l’Amérique doit cesser de distraire son énergie dans des aventures extérieures. Dans les jours et les semaines à venir, la Chambre des Représentants devra examiner la demande de la Maison-Blanche d’approuver un vaste paquet de sécurité nationale qui comprend des dizaines de milliards de dollars d’aide supplémentaire, un peu en faveur d’Israël, et beaucoup en faveur de l’Ukraine. La rallonge, sur ce dernier point, est susceptible de diviser les Républicains qui rechignent à refinancer Kiev. Plus tôt cette année, Mike Johnson avait voté contre une augmentation de l’aide américaine à ce pays.
Surtout, le nouveau Président de la Chambre est un soutien inébranlable de Donald Trump. Il s’est montré l’un des plus insistants à affirmer que l’élection présidentielle de 2020 avait été truquée. Mais à la différence des trumpistes ordinaires qui se bornaient à crier au scandale, il s’est montré plus pratique, plus efficace et finalement plus malin. Avocat de formation, Johnson a pris la tête d’un groupe de plus de 100 collègues républicains qui a déposé un mémoire auprès de la Cour suprême des États-Unis pour contester la constitutionnalité des modalités de vote par correspondance qui avaient été introduites dans quatre Etats pivots : la Géorgie, le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin, tout cela naturellement dans le but de renverser les résultats de l’élection de 2020. L’argument n’a pas été retenu mais il a donné une apparence de caution juridique, une respectabilité, à une cause qui relevait jusque-là de l’affirmation gratuite. C’est ainsi que Mike Johnson a pu finalement rallier 147 membres républicains de la Chambre pour voter contre la certification de l’élection, le 6 janvier 2021.
Depuis quelques jours, Donald Trump ne cache pas le très grand contentement que lui inspire l’élection de Mike Johnson : il sait qu’il peut maintenant compter sur un allié qui pourra être très précieux le cas échéant. Si, aux présidentielles de novembre 2024, il obtient un score du même genre que celui de 2020, il dispose désormais à la tête de la Chambre d’un homme capable de lui sauver la mise.
Philippe COSTE, Ancien Ambassadeur
LIRE AUSSI :
Revoir – Elections américaines : Hubert Védrine, ancien Ministre, donne un point de vue européen
Note de lecture – « Turbulences USA (2016-2020) »