Notre monde est devenu dangereux. L’architecture des relations internationales est en plein bouleversement. La mise en cause du système international, né au milieu du siècle dernier, est quasi générale. L’obsession de paix ne semble plus guider notre monde comme ce fut le cas, naturellement, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le nouveau multilatéralisme tarde à émerger.
Dans la période récente, quatre des équilibres sur lesquels reposait la gouvernance mondiale ont basculé. Quatre bouleversements se conjuguent pour jeter le monde dans « une grande bascule ».
Le premier de ces équilibres était celui issu de la guerre froide et fut bousculé par le retour de la guerre chaude en Europe. Cette guerre, en Ukraine, a ravivé la tension Russie-USA mais aussi impliqué l’Union européenne dans le conflit, tout en faisant du peuple ukrainien la première victime de cette tragédie. Ce conflit menace évidemment de s’élargir à d’autres acteurs mais le seul fait de durer est suffisant pour diviser, donc affaiblir l’Europe, et sortir Poutine de son isolement en le replaçant au cœur de plusieurs réseaux internationaux (BRICS, Shanghai, Afrique, …).
Le deuxième équilibre mis à mal par la situation internationale est le rapport de forces entre la Chine et les Etats-Unis. La course pour le leadership mondial entre les deux grandes puissances est lancée. La tension sur Taïwan ne faiblira pas car c’est un sujet sur lequel la position de Pékin est sans aucune ambiguïté, et cette question est devenue une thématique importante de la politique intérieure américaine. L’escalade est à craindre. Tous les sujets monétaires, technologiques ou culturels, concernent maintenant cette « grande dispute ».
Le troisième équilibre menacé dans la période actuelle est celui que, depuis la Seconde Guerre mondiale, l’ONU a installé comme mécanique de gouvernance. La question du veto au conseil de sécurité bloque le fonctionnement du multilatéralisme. La réforme de l’ONU semble impossible. L’organisation universelle est fragilisée par la multiplication des réseaux de solidarité internationale qui se structurent en organisations multilatérales qui deviennent de plus en plus concurrentes entre elles. La dialectique manichéenne qui s’installe entre les pays du G7 et ceux, membres des BRICS, est dangereuse. L’expansionnisme de ces organisations est préoccupant. La partition du monde signifierait la fin de l’universalisme et affaiblirait la planète dans ces nécessaires combats communs pour sa propre survie.
Le quatrième déséquilibre que révèle la situation actuelle est le déséquilibre africain où s’affrontent des forces peu compatibles telles que le terrorisme, la nouvelle donne climatique, l’islamisme, les déstabilisations de toute sortes, la compétition des puissances, … Les conditions du développement, les progrès démocratiques sont encore précaires, et les défis migratoires sont menaçants.
Ces bouleversements, telles des plaques tectoniques, vont transformer le monde sans qu’on ne puisse aujourd’hui mesurer la puissance et les interactions de ces mouvements.
L’ambition du forum de géopolitique du Futuroscope, organisé par la Fondation Prospective & Innovation (1), est de scruter ces mouvements et de stimuler l’imagination pour faire face à toutes les entreprises de déconstruction que nous devons affronter.
Notamment chez nous en Europe. En effet, ces bouleversements menacent notre continent d’une réelle « sortie de l’Histoire » (2). Parce que la guerre en Ukraine nous divise quant aux relations avec les États Unis, parce que la tension sino-américaine réduit aux deux leaders le multilatéralisme, parce que l’Occident dans sa rivalité avec les BRICS n’est plus aussi attractif, et parce que notre avenir dépend en grande partie de l’avenir africain, y compris celui de notre langue, l’Europe doit se considérer comme partie prenante essentielle de la construction du nouveau monde en mouvement.
Le sursaut européen est nécessaire au nouvel équilibre international. La Paix, message de l’Europe, doit redevenir le projet de la gouvernance mondiale.
(1) Le 1er septembre la Fondation Prospective & Innovation organise son forum annuel au Futuroscope sur « la Grande Bascule » de la gouvernance mondiale avec une vingtaine de personnalités internationales.
(2) « Ne sortons pas de l’Histoire » de Jean-Pierre Raffarin et Claude Leblanc aux éditions Michel Lafon.
JEAN PIERRE RAFFARIN
Ancien Premier ministre
Président de la Fondation Prospective & Innovation
Président de Leaders pour La Paix.
Pour aller plus loin :
Livre : SHERIF 2023 – « L’Europe et le Monde : la Grande Bascule »
Revoir le Forum du Futuroscope 2023 : « Gouvernance mondiale : la Grande Bascule ? »