- La Chine traverse une situation de crise multiple déstabilisant quelque peu son modèle de croissance.
- Cette session annuelle témoigne surtout d’un repli sur soi de la Chine et de ses dirigeants.
- Des objectifs ambitieux ont été fixés, mais des incertitudes pèsent pourtant sur leur atteinte.
La session annuelle du Parlement chinois a traditionnellement pour principal objet de faire connaître et de faire approuver les grandes orientations politiques et économiques proposées au pays pour l’année à venir. La réunion qui vient de s’achever présentait un intérêt particulier dans les circonstances du moment : quel stimulant les autorités chinoises se proposaient-elles d’administrer à l’économie en réponse à la morosité qui la caractérise au lendemain de la crise Covid ?
La Chine peine à infléchir la tendance
Ces difficultés économiques sont, en effet, sérieuses. Elles se sont confirmées puis aggravées tout au long de l’année passée. La crise immobilière qui continue de s’approfondir ainsi que l’effondrement de la capitalisation boursière, qui a perdu 45% de sa valeur depuis le pic de janvier 2021, menace l’épargne de centaines de millions de citoyens qui cherchaient à pallier les lacunes de la protection sociale en plaçant leurs économies soit dans la pierre soit dans les actions. Les effets de la crise se sont conjugués à ceux du déclin démographique et du vieillissement de la population pour ralentir encore davantage la consommation, d’où la faiblesse de la croissance, les surcapacités de l’appareil industriel, la montée du chômage, l’apparition de dangereuses tendances déflationnistes, mais également le tarissement des investissements internationaux.
Dans cette situation, les autorités se sont donné devant le Congrès un objectif – relativement modeste à l’échelle chinoise – de 5% de croissance, le même que pour 2023. Or, ce n’est pas du tout certain qu’il pourra être atteint. Il va d’abord manquer l’effet de base qui a dopé le chiffre de l’année dernière puisque celui de l’année précédente avait été déprimé du fait des contrôles Covid. Ce à quoi s’ajoute l’indisponibilité des trois moteurs traditionnels de la croissance qui ont si souvent tiré l’économie ces dernières décennies. En l’état actuel, recourir à l’immobilier est hors de question. La relance par les infrastructures n’est plus guère possible non plus vu l’instruction que Pékin vient de donner à douze régions très endettées de remiser leurs projets en la matière. Quant au boom de l’exportation des produits industriels – les panneaux solaires, les véhicules électriques et les batteries notamment –, il commence à se heurter aux mesures anti-dumping que les marchés-cibles sont en train de prendre. C’est le cas des Etats-Unis et de l’Union européenne, mais le mouvement se généralise aux pays du « Sud global » : le Brésil notamment à titre d’exemple, dénonçant des opérations « prédatrices » de la République Populaire, a ouvert au cours des six derniers mois au moins une demi-douzaine d’enquêtes sur des produits allant des tôles et de l’acier prélaqué aux produits chimiques et aux pneus.
Pour sortir de l’impasse, il faudrait un plan de relance très substantiel et il faudrait aussi mobiliser le concours actif du secteur privé, tant national qu’international. Ce n’est pas ce qui a été annoncé. Pas de plan de relance et surtout, des signaux contradictoires en direction du secteur privé chinois et des investisseurs internationaux. En fait de plan de relance, c’est une modeste poussée budgétaire, une émission d’obligations spéciales et une augmentation des pensions d’État qui ont été annoncées au Congrès. Elles ne suffiront pas à elles seules à faire redémarrer l’économie. Quant à la mobilisation accrue du secteur privé domestique, elle ne paraît pas être dans l’air du temps. Les contrôles de l’État qui s’exercent sur lui n’ont pas cessé de s’appesantir ces dernières années et n’encouragent guère l’initiative. Et pour ce qui est des investisseurs étrangers, les efforts pour les séduire ne paraissent pas de nature à les convaincre.
La session du Parlement met en lumière un double repli sur soi
Car l’impression générale qui se dégage de cette session du Congrès est celle d’un repli sur soi accru de la Chine. Les derniers slogans consistant à mettre en avant « les nouvelles forces productives » pour assurer un « développement de haute qualité » reviennent en fait à confirmer la priorité donnée à la montée en gamme de l’appareil productif, c’est-à-dire à la recherche de l’autosuffisance et au bout du compte à la méfiance vis-à-vis de l’extérieur dont on fait en sorte de dépendre le moins possible. Autre signe de ce repli sur soi, la décision de mettre fin à la pratique de la conférence de presse à l’issue du Congrès. Celle-ci, ininterrompue depuis plus de quarante ans, maintenue même lors de la crise de Tian’anmen en 1989, était le seul moment de l’année où la presse nationale et internationale pouvait poser au Premier ministre des questions en direct, y compris sur les sujets les plus sensibles, et garder ainsi ouvert un précieux canal de communication avec le pouvoir au plus haut niveau. Ce canal est aujourd’hui refermé. Dans le même sens, on signalait récemment que la Chine avait publié en 2023 environ 10 000 indicateurs économiques ; le chiffre correspondant pour 2010 était supérieur à 80 000. Ici encore, la transparence en fait les frais.
En vérité, plutôt que de repli sur soi de la Chine, il faudrait parler de repli sur soi du pouvoir chinois. Il a déjà tendance à se couper des citoyens ordinaires. On a noté par exemple le peu d’empathie que montrait le nouveau chef de gouvernement à l’égard des nombreuses victimes de la dureté des temps – épargnants ruinés, jeunes diplômés au chômage, etc. Le contraste était frappant par rapport à ses prédécesseurs, Li Keqiang et Wen Jiabao. Xi Jinping lui-même ne fait pas mystère de son agacement envers ce qu’il considère comme la mentalité d’enfant gâté que les quarante années de vaches grasses ont développé chez ses compatriotes.
Et plus encore que l’isolement du pouvoir, c’est sa concentration dans la personne de Xi Jinping que le Congrès a mis en lumière. L’écart s’est accru entre le numéro un du régime et son numéro deux. Une révision constitutionnelle adoptée en marge de cette session l’a formellement acté en subordonnant expressément l’action du gouvernement au contrôle des instances dirigeantes du Parti communiste. La mise en scène de la grand-messe l’a clairement fait sentir. Tout convergeait pour exalter encore davantage la stature du Grand Timonier. Placé au centre de la tribune en position dominante, hiératique, économe de gestes et de mots, le Secrétaire Général du Parti Communiste Chinois laissait monter vers lui l’encens des hommages que le Premier ministre ne cessait de lui adresser.
Conclusion
En somme, c’est donc l’obsession sécuritaire de Xi Jinping qui a dominé le Congrès. À défaut de relance de l’économie, deux priorités émergent de cette session : l’intensification de la recherche en matière de technologies stratégiques et la modernisation accélérée de l’appareil militaire, c’est-à-dire deux manières de défier les Etats-Unis. Le budget officiel de la défense augmentera de 7,2% cette année, sans compter le budget de la recherche militaire, ni celui des forces paramilitaires et des garde-côtes. Si l’on englobe tout, c’est sans doute d’une augmentation de plus de 10% qu’il faut parler.
Par Philippe COSTE
Ancien Ambassadeur
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