Téléchargement
Sommet de San Francisco du 15 novembre 2023
Après une longue période d’affrontements et de bouderies, à San Francisco la semaine dernière, Joe Biden et Xi Jinping se sont enfin rencontrés. Les quatre grandes heures d’entretien qu’ils ont passées ensemble n’ont évidemment pas fait disparaître les problèmes de fond. Ceux-ci restent entiers, notamment Taïwan, le conflit commercial bilatéral, la Mer de Chine du Sud sans parler de la légitimité contestée de l’ordre mondial établi en 1945. Et par comparaison avec ces grands enjeux, les résultats concrets du sommet peuvent paraître bien modestes – même s’ils ne sont pas du tout négligeables – puisqu’ils se limitent à créer un groupe de travail sur la lutte contre les stupéfiants et à rouvrir les canaux de communication entre hauts responsables militaires américains et chinois.
Mais l’essentiel n’est pas là. Il est dans l’assainissement de l’atmosphère. Pas encore dans l’établissement d’une relation de confiance entre les deux partenaires mais dans la conviction partagée qu’il est grand temps pour eux de travailler ensemble avec le souci, non pas de résoudre leurs différends, mais de les garder sous contrôle. En s’éternisant, l’absence de contact direct finissait par devenir dangereuse. Après le sommet, il devient moins vraisemblable que les États-Unis et la Chine trébuchent accidentellement dans un conflit militaire. On peut se prendre à espérer que, dans certains domaines spécifiques, de nouvelles avancées puissent être enregistrées. Même l’alchimie personnelle entre les deux hommes a paru bien fonctionner. Xi, d’ordinaire si peu démonstratif, s’est montré souriant comme jamais et inhabituellement sensible aux petites attentions que Joe Biden a multipliées. Le tournant est incontestable.
A vrai dire, les deux pays avaient tout intérêt à faire baisser la tension. En année électorale, la Maison Blanche risquait trop gros à gérer deux conflits ouverts en Ukraine et au Proche Orient et un conflit larvé en Extrême Orient. Elle avait grand besoin en particulier que Pékin exerce une influence modératrice sur l’Iran. De son côté, la République Populaire ne pouvait qu’être demandeur d’apaisement à un moment où elle faisait face à des défis économiques sans précédent. En effet, pour la première fois depuis que les statistiques en sont établies, les investissements directs étrangers en Chine ont fortement baissé au troisième trimestre de cette année, signe évident d’une attractivité en berne. Aux problèmes de fond (démographie, chômage, dette, immobilier), au raidissement des grands partenaires commerciaux américains et maintenant européens, s’ajoutent les signaux contradictoires envoyés par les responsables de la politique économique chinoise notamment à l’adresse des entreprises. Désormais, le marché chinois ne fait plus figure d’El Dorado. En faisant patte de velours avec Joe Biden et en menant une campagne de séduction auprès de la communauté d’affaires lors d’un dîner en marge du sommet, Xi Jinping s’est évertué à redresser la tendance.
Plus profondément, certains analystes en arrivent à se demander si ce n’est pas le miracle chinois lui-même qui est en train de se retourner, et même si la spectaculaire ascension de la Chine depuis 45 ans n’est pas en train de se retourner. Alors que la part du pays dans l’économie mondiale a presque décuplé au cours de cette période, passant de moins de 2 % en 1990 à 18,4 % en 2021, ils observent qu’en 2022, selon les propres statistiques chinoises, elle a commencé à se réduire légèrement. Cette année, elle devrait diminuer de manière plus significative encore, à 17 %. Cette baisse de 1,4 % sur deux ans, constatent-ils, est la plus importante depuis les années 1960. Dans ce contexte, qui n’a sûrement pas échappé au Président Xi, l’heure n’est plus à annoncer le déclin inexorable de l’Occident. Telle est peut-être bien la clé du sommet.
Quoi qu’il en soit, il reste à s’assurer que les promesses seront bien tenues. Barak Obama se souvient encore que le même Xi Jinping, lors d’un sommet du même genre en 2015, s’était engagé à ne pas militariser les îlots de Mer de Chine du Sud… pour faire le contraire peu de temps plus tard. Cette fois-ci, le test de confiance consistera à surveiller si le commerce du fentanyl et d’autres opioïdes synthétiques, responsable de 70 000 décès aux États-Unis en 2022, est rapidement réduit, comme promis.
Sur les questions environnementales, où le besoin de solidarité internationale est évident, le rapprochement entre les deux pays est crucial. L’accord intervenu entre eux la veille du sommet pour tripler la capacité des énergies renouvelables d’ici à 2030 de façon à accélérer leur substitution au charbon, au pétrole et au gaz montre que les deux principaux émetteurs de gaz à effet de serre du monde sont conscients de leurs responsabilités et prêts à agir en conséquence. Souhaitons que la COP 28 confirme ces bonnes dispositions.
Au total donc, la rencontre de San Francisco semble bien avoir donné un coup d’arrêt à la dégradation continue de la situation internationale depuis quelques années. Touchons du bois et formons le vœu que les élections présidentielles américaines de novembre prochain ne remettent pas tout en cause.
Philippe COSTE, Ancien Ambassadeur
LIRE AUSSI :