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UE : LE GRAND ELARGISSEMENT, 20 ANS APRES

3 mai 2024

par Philippe COSTE, Ancien Ambassadeur

  • Le 1ᵉʳ mai 2024 a marqué le vingtième anniversaire du « grand élargissement » de l’UE avec 10 nouveaux États membres. 
  • Le succès de cet élargissement réside dans les progrès économiques spectaculaires qu’il a permis de réaliser aux nouveaux arrivants.
  • L’UE fait figure de contre-modèle par rapport à la Russie et cette concurrence est sûrement l’une des raisons pour lesquelles le Kremlin tient à voir échouer la construction européenne. 

 

Le 1ᵉʳ mai 2024 n’a pas seulement donné l’occasion de célébrer la Fête du Travail, il a aussi marqué le vingtième anniversaire du « grand élargissement » de l’Union européenne, c’est-à-dire d’un événement qui a été de grandes conséquences pour la France et pour notre continent. Quinze après la chute du rideau de fer, Chypre, la République Tchèque, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie, Malte, la Pologne, la Slovaquie et la Slovénie, pour l’essentiel pays victimes de l’impérialisme soviétique, étaient enfin associés eux aussi à l’aventure inédite initiée par Jean Monnet et Robert Schuman. 

 

Ici et là, on n’a pas manqué d’exprimer des inquiétudes sur la gouvernabilité d’une Union à 28 États souverains. En fait, si le processus de décision s’est incontestablement alourdi, la sécession du Royaume-Uni, un très gros morceau à lui tout seul, a joué en sens inverse. Des compromis ont pu être trouvés sans trop de difficultés sur des sujets aussi stratégiques que le Fonds de Relance de 750 milliards d’euros, le Green Deal, les avancées remarquables en matière de défense commerciale, de politique industrielle et de défense européenne. Même les démêlés qui ont opposé l’Union à la Hongrie sur l’État de droit ont pu être gérés de manière plutôt satisfaisante. 

Les Français en particulier ont toujours eu tendance à s’engager à reculons dans la voie de l’élargissement. Ils craignent qu’elle ne s’accompagne d’une perte de substance et sans doute déplorent que l’influence de Paris, jadis prépondérante parmi les six États membres originaires, se soit diluée dans l’Union à vingt-sept. C’est ignorer une dimension essentielle de l’élargissement. Celui-ci consiste en effet tout entier dans ce que l’on appelle la « reprise de l’acquis » communautaire. Or, qu’est-ce que l’acquis ? C’est le stock de toutes les normes constitutionnelles, législatives et réglementaires accumulé depuis l’origine. Il a certes considérablement évolué depuis soixante-dix ans, mais sa base, les institutions européennes et une bonne partie du droit communautaire, est toute française. Un exemple parmi d’autres, la Commission de Bruxelles, le monopole des propositions qui lui est reconnu et sur la base de laquelle s’instaure le dialogue avec les États membres, viennent en ligne droite de l’institution que présidait Jean Monnet, Commissaire Général au Plan, et de la méthode qu’il y appliquait. De ce point de vue, chaque nouvelle province qui rejoint l’Union européenne peut s’analyser comme une nouvelle extension de cette discrète mais profonde influence française, un peu comme, il y a plus de deux siècles, notre code civil avait conquis tout le continent (et au-delà) dans le sillage des armées napoléoniennes. 

Plus généralement, au niveau du continent, le plus impressionnant dans l’élargissement, réside dans les progrès économiques spectaculaires qu’il a permis de réaliser aux nouveaux arrivants. En moyenne, leur produit intérieur brut par habitant est passé d’un peu moins de la moitié du niveau de l’UE en 2004 à plus des trois quarts aujourd’hui. L’ouverture internationale de ces pays jointe à la stabilité juridique que garantissait l’appartenance à l’Union a beaucoup encouragé les grandes multinationales à y investir et elles l’ont fait en apportant les dernières technologies, ce qui leur a permis d’améliorer considérablement leur productivité. À cela se sont ajouté les centaines de milliards d’euros déversés directement par l’Union au titre des Fonds structurels. Au total, la quasi-totalité des 10 pays ont doublé leur PIB par habitant au cours des deux dernières décennies. En moyenne, les prix de l’immobilier se sont réévalués de 70 %. Les salaires ont triplé en Pologne, en République Tchèque et en Slovaquie, quadruplé en Hongrie et sextuplé dans les trois États baltes. Au total, une remarquable amélioration de la qualité de vie des habitants des nouveaux adhérents. Aussi bien, la fuite des cerveaux qui a longtemps inquiété les responsables de ces pays a maintenant commencé à s’inverser.

 

Avec un tel bilan, il n’est pas surprenant que le grand élargissement de 2004 exerce un irrésistible pouvoir d’attraction dans les Balkans, en Moldavie, en Ukraine et en Géorgie. Au moins dans ces trois derniers pays et sans doute bien au-delà, l’UE fait figure de contre-modèle par rapport à la Russie. Cette concurrence, celle de l’économie et plus encore celle des valeurs, est sûrement l’une des raisons pour lesquelles le Kremlin tient tant à voir échouer la construction européenne. 

 

 

Philippe COSTE

Ancien Ambassadeur

 

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