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#Etats-Unis, Monde

Vivre avec Donald Trump

22 novembre 2024

par Philippe COSTE, Ancien Ambassadeur

  • Réélu très largement, il va falloir à nouveau vivre avec Donald Trump et cette fois sans contre-poids car le Congrès et la Cour Suprême lui sont acquis.
  • Cette réélection suscite l’inquiétude quant à la continuité du soutien des Etats-Unis à l’Ukraine, et à la capacité de l’Europe d’assurer seule la relève.
  • Toutes les projections se heurtent à la même inconnue : l’imprévisibilité totale de Donald Trump.

 

C’est donc avec Donald Trump qu’il va falloir vivre pendant encore quatre ans. Qui plus est, un Donald Trump plus expérimenté et plus déterminé puisque cette fois il n’entre pas à la Maison Blanche par surprise – à sa propre surprise – mais après une longue maturation de ses intentions et sans doute de ses rancœurs. Et plus encore, c’est un Donald Trump qui sera doté de pouvoirs sans grands contrepoids puisqu’il va bénéficier d’un rare alignement des planètes avec, dans le même axe, la Présidence, les deux Chambres du Congrès et la Cour Suprême.

Il faut donc s’attendre à un tournant dans les affaires du monde : avec plus de brutalité dans la forme et, sur le fond, une attention exclusivement concentrée sur les intérêts à court terme des Etats-Unis, du moins perçus comme tels, et une parfaite indifférence à ceux du reste de la planète. Cela signifie une forte poussée de protectionnisme, plus de réchauffement climatique, un désintérêt pour les questions de démocratie et de droits de l’Homme, un repli sur une Amérique isolationniste considérant les alliés comme des pique-assiettes donc un probable lâchage de l’Ukraine sans considération pour les intérêts des alliés et, plus encore, pour ce qu’elle signifierait quant à l’image de l’Occident – Etats-Unis compris – dans le monde.

C’est aussi à un changement dans l’esprit du temps qu’il faut sans doute s’attendre. Reflux du wokisme et retour des « valeurs traditionnelles », bien sûr, croisade anti-immigration aussi, mais également, coup de fouet qui ne va pas manquer d’être donné aux populistes et autres illibéraux et coup de massue sur ceux qui croient en la démocratie et qui militent contre les tyrannies totalitaires. Avec Donald Trump, c’est un multi-inculpé qui arrive au pouvoir. C’est l’homme qui continue, quatre ans après, de marteler que l’élection de 2020 lui a été volée. Un homme qui va maintenant gracier les condamnés de l’invasion du Capitole. Le réélire est aussi une manière de ratifier l’idée que le pouvoir est en droit de définir ce qu’est la vérité.

L’élection de Donald Trump est évidemment une excellente nouvelle pour son ami Vladimir Poutine, quoique celui-ci affecte d’en dire. C’est la confirmation du bien fondé de ses analyses quant à l’incapacité des démocraties à tenir la ligne dans la durée. C’est aussi une voie royale qui s’ouvre vers le Saint Graal de la politique étrangère soviétique-russe depuis quatre-vingts ans : le découplage, enfin, entre l’Europe et les Etats-Unis, c’est à dire la perspective d’un face à face entre le gros ours russe et une collection d’Etats européens plus ou moins minuscules, plus ou moins divisés, en tout cas incapables d’opposer avant longtemps une force crédible face à celle que le Kremlin agite sous leur nez. Dans l’immédiat, c’est la perspective tout à fait possible d’une victoire russe en Ukraine, et rétrospectivement, la justification des risques, naguère jugés insensés, que le nouveau tsar a choisi de prendre. C’est faire reconnaître, de sa part, une capacité de jugement et un sang-froid hors du commun, donc conforter son emprise sur la société du « monde russe » et rehausser son prestige au sein du « Sud Global ». Le plus piquant, si l’on ose dire, dans cette affaire est de voir que Washington se prépare à seconder activement une opération destinée explicitement à remettre en cause la place prééminente des Etats-Unis dans le monde telle qu’elle a été établie à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale.

Vu de Pékin, il n’est pas sûr que la victoire de Donald Trump soit une mauvaise nouvelle. Certes, l’augmentation spectaculaire des tarifs douaniers annoncée – et qui a de bonnes chances de gagner l’ensemble de la planète avec toutes les mesures de rétorsion qui ne manqueront pas de suivre -, cette augmentation a lieu d’inquiéter une nation qui fonde l’essentiel de sa croissance sur l’exportation. Mais inversement, la défaite de l’Ukraine va fragiliser le système des alliances et donc, par ricochet, la position de Taïwan. Pour le triomphe de Xi Jinping (ou de son successeur) en 2049, la probabilité d’accrocher ce trophée à son char augmente et cela n’est certainement pas pour lui déplaire.

Dans cette situation, l’Europe se trouve menacée comme jamais. Pour elle, la prochaine arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche va obliger les pays du continent à prendre une part beaucoup plus grande du fardeau de la défense, y compris de celle de l’Ukraine, à un moment où sa relative richesse a de bonnes chances d’être sérieusement écornée par la hausse attendue des droits de douane. Pris ensemble, tout cela risque fort de se traduire par une ardoise de très grande ampleur. Qui plus est, face à cette perspective, les deux nations motrices de l’Union, la France et l’Allemagne, sont actuellement dans un état de déliquescence avancé, l’une comme l’autre. A leurs côtés, mais hors de l’Union, le Royaume Uni n’est guère mieux loti. Il n’est guère que la Pologne et ses petits voisins nordiques pour se mobiliser activement. Mais on peut s’interroger – pour dire le moins – sur la capacité de tout ce monde à imaginer, définir en commun et faire accepter par l’ensemble des Vingt Sept une réponse crédible au problème que pose l’élection de Donald Trump et ses conséquences, notamment le sort de l’Ukraine.

Au moment où les deux pays en guerre l’un contre l’autre cherchent à se positionner le mieux possible en vue d’éventuelles négociations de paix, l’Europe doit faire le maximum pour renforcer la main de l’Ukraine. Car c’est seulement si le Kremlin peut constater que la poursuite des hostilités lui devient trop difficile à supporter qu’il pourra trouver intérêt à les suspendre. Au-delà, l’Europe doit définir sa position dans un éventuel règlement. S’agissant de territoire, il est question de reconnaître de facto (plutôt que de jure) la situation sur le terrain. Qu’en pensons-nous ? S’agissant des garanties de sécurité, on hésite sur celles que pourrait offrir l’OTAN : accueillir la candidature de l’Ukraine, ou la geler pour un temps indéterminé, ou l’écarter définitivement ? Et s’il n’y a pas d’OTAN, que lui substituer ? Une garantie européenne ? Avec des troupes européennes stationnées en permanence sur le terrain ? Et quid des sanctions ? Quid des poursuites de la Cour Pénale Internationale ? Quid de la reconstruction ? Sur tous ces sujets et d’autres sans doute, il est temps de définir une position européenne si possible au sens large, Royaume-Uni et autres pays hors Union compris.

En parallèle l’Europe devrait se préparer aux temps nouveaux en osant prendre des initiatives propres, distinctes de celles des Etats-Unis. Le 17 novembre, Joe Biden a autorisé Kiev à lancer des frappes limitées contre la Russie à l’aide de missiles à longue portée ATACMS. L’utilisation des Storm Shadow britanniques, qui parce qu’ils contiennent des composants américains, était liée à la décision de Washington, est désormais entendue. Les Français et les Allemands, qui ont mis à disposition de Kiev des missiles comparables, devraient eux aussi lever les restrictions d’emploi. Ils auraient d’ailleurs pu en prendre la décision bien avant les Américains et indépendamment d’eux. De même pour le financement de l’effort de défense accru qu’il va leur falloir consentir. Après de longs mois de débats, les Européens ont fini par décider de se servir des intérêts des 300 Mds d’euros d’actifs russes gelés dans leurs banques. L’urgence de la situation qui s’annonce devrait les conduire à réexaminer les objections qui les retiennent jusqu’à présent d’utiliser aussi le capital lui-même

En fait, les Occidentaux et les Européens en particulier ne savent toujours pas ce qu’ils veulent. Ils ne veulent pas que les Russes gagnent mais ils ont peur que les Russes perdent. Peur qu’à l’approche de la défaite, le Kremlin ne saute le pas nucléaire mais peur aussi qu’à la suite d’une défaite, le pouvoir de Vladimir Poutine ne s’effondre et que le pays, siège du plus grand arsenal nucléaire de la planète, ne se retrouve dans un incontrôlable état d’anarchie. En fait, le recours délibéré au nucléaire sur des cibles européennes est une menace trop souvent brandie, et de manière trop soigneusement calculée, pour ne pas relever du bluff. La deuxième hypothèse a plus de consistance mais ne parait pas d’actualité pour l’instant. Autrement dit, il n’y a pas de vrai danger à renforcer la main de Kiev dans l’immédiat mais il est sans doute bien avisé de s’en tenir à un arrangement provisoire, sur le fil du rasoir, aussi solide que possible, en attendant l’affaiblissement de la Russie dont il faut néanmoins préparer activement la survenance.

Quant à savoir ce que fera Donald Trump, c’est encore l’inconnu.

 

 

Philippe COSTE
Ancien Ambassadeur

 

 

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