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Chine-Etats-Unis : Qui gagnera la guerre du leadership ?

30 août 2021

Tribune de Jean-Pierre RAFFARIN, ancien Premier ministre, Président de la Fondation Prospective et Innovation

« Chine-États-Unis: qui gagnera la guerre du leadership ? – par Jean-Pierre Raffarin », L’Opinion, 26/08/2021.

 

Tous les ans, fin août, la Fondation pour la Prospective et l’Innovation (F.P.I) organise au Futuroscope un forum de géopolitique sur les tensions internationales. Parmi les sujets qui ont été débattus, le 27 août prochain, par de nombreuses personnalités, dont l’ancien Premier ministre, Edouard Philippe, figure la dialectique engagée par deux sommités, qui, par livres interposés, analyse le conflit qui oppose les États-Unis et la Chine.

L’un est américain, journaliste vedette de CNN, Fareed ZAKARIA¹, l’autre est Singapourien diplomate et célèbre universitaire, Kishore MAHBUBANI². Le clin d’œil de l’histoire est que tous les deux ont leurs racines en… Inde.

Les deux analyses ont un point de départ commun : la tension sera longue et durable.

L’un pense que les États-Unis ne peuvent envisager d’abandonner leur leadership, l’autre est persuadé que jamais les Chinois n’accepteront que leur développement soit plafonné par une autre puissance. Cette rivalité entre le numéro un et le numéro deux, dite « piège de Thucydide » se referme inéluctablement sur notre monde post-Covid.

Pour ZAKARIA « les États-Unis et La Chine s’orientent vers une confrontation âpre et prolongée« . Il nous recommande « d’attacher nos ceintures« . Pour MAHBUBANI « Il faut nous préparer à la plus grande bataille géopolitique de tous les temps« . L’affrontement sera élargi, car les deux protagonistes ne sont pas isolés. Malgré les désaccords, l’Amérique cherche le soutien des démocraties et la Chine compte sur sa puissance régionale pour mobiliser le continent asiatique.

Chacun relève dans son camp des failles importantes.

Pour Kishore MAHBUBANI, les Chinois ont eu le tort de ne pas construire une relation forte et durable avec les entreprises occidentales bien implantées sur le marché chinois. En laissant libre cours à « l’hubris et à l’orgueil » nés de leur nouvelle puissance ils n’ont pas gagné la sympathie de leurs partenaires, qui ainsi, restent étonnamment silencieux dans le procès public que fait l’Amérique à la Chine.

L’américain n’est pas avare de critiques sur les faiblesses de son pays, il lui reproche d’avoir une attitude brutale et peu subtile face à la Chine, ce qui a réveillé le nationalisme chinois et affaibli les partisans de l’ouverture. « La tactique dure de Trump n’a atteint aucun de ses objectifs, (…) En fait, elle a fait naître une Chine plus offensive à l’étranger et plus répressive à l’intérieur de ses frontières. » Il est clair que la guerre des propagandes ne sert pas la vérité.

Malgré ces autocritiques parallèles, les deux géopoliticiens prennent cette compétition des leaderships très au sérieux et militent pour que le monde prenne conscience des dangers qui le menacent.

Selon l’expert de CNN, la stratégie belliqueuse de la Chine est la source du problème. « La belligérance croissante du pays marque une rupture avec sa passivité précédente, (..). L’augmentation de la capacité militaire suggère que la Chine suit un programme à long terme« . Ce caractère belliqueux pour ZAKARIA s’exprime en politique étrangère au travers de « la diplomatie du loup combattant ». En politique intérieure, les différents et lourds dossiers relatifs au droit de l’homme en Chine amènent notre américain à cette conclusion sans appel : « la répression renforcée est une tragédie pour le peuple chinois« .

L’hypothèse omniprésente dans le livre de Kishore MAHBUBANI et que, un jour, la Chine va gagner. Dans la préface de ce livre Hubert VEDRINE insiste sur le message le plus important de son auteur : « L’endiguement de la Chine qui va être tenté (le concept de l’Indopacifique) est irréaliste et il ne fonctionnera pas« . Le point de départ de cette analyse est la puissance de l’économie chinoise qui a déjà gagné la première place mondiale en termes de PIB (en parité de pouvoir d’achat). À ceux qui lui opposent l’argument selon lequel le vrai empereur de l’économie mondiale est le dollar, Kishore riposte que c’est surtout le vrai « talon d’Achille de l’Amérique » car la Chine travaille à la mise en place d’infrastructures de paiement global. Sur l’ensemble des sujets de sociétés, le diplomate singapourien s’attache à montrer que les Américains ne sont pas exemplaires quant aux critiques qu’ils adressent aux Chinois. Contrairement aux chinois, les Américains mènent des guerres inutiles, chez les autres. Au pays du capitalisme la pauvreté est galopante dans la moitié de la population la moins riche. C’est le pays de « l’argent corrupteur« . La réponse à la critique relative à la question du traitement chinois des Ouïghours se veut cinglante rappelant les guerres américaines contre les musulmans : « la torture viole plus gravement les droits de l’homme que la prison« .

Malgré cette dialectique souvent féroce les deux auteurs refusent le scénario de la guerre qui leur paraît aller contre les intérêts des deux puissances. L’Asiatique, fidèle à la fertilité des contraires, croit à « la non-contradiction entre la Chine et les États-Unis« . Pour l’Américain « rien n’est écrit« . La coopération peut l’emporter.

Tous les deux pensent que la « planétisation » des consciences peut créer un nouvel ordre mondial, ce qui pourrait signifier que le  » consensus de Paris « , en référence à « l’accord de Paris », pourrait succéder au « consensus de Washington » et a sa priorité pour la performance économique.

Une dialectique finale nous interpelle et doit nous mobiliser : l’un, à l’Est, considère l’Europe comme un continent en déclin, l’autre, à l’Ouest, comme un modèle politique capable de se réinventer comme ce fut le cas pour faire face aux exigences financières de la pandémie. Vue d’Amérique, l’Europe est résiliente, vue d’Asie, elle doit marquer sa souveraineté. Finalement, l’Europe peut ne pas être perdante !

 

Jean-Pierre RAFFARIN

Ancien Premier ministre
Président de la Fondation pour la Prospective et l’Innovation
et de Leaders pour la Paix

 

¹. Retour vers le futur. Fareed ZAKARIA. Saint-Simon. 2021.

². Le jour où la Chine va gagner. Kishore MAHBUBANI. Saint-Simon. 2021

 

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