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Un an de Présidence Biden : et après ?

Date de la conférence : 24 janvier 2022

Intervenants

  • Clémence LANDERS, Policy Fellow au Center for Global Development
  • Hall GARDNER, Professeur à l’American University of Paris
  • Olivier PITON, Avocat au barreau de Paris et de Washington, Conseiller pour les Français de l’Étranger (États-Unis)
  • Modérateur : Jean-Pierre RAFFARIN, Ancien Premier ministre, Président de la Fondation Prospective et Innovation

Il y a un an maintenant, Joe Biden s’installait dans le Bureau ovale après une élection tendue dans une société américaine rarement aussi divisée. Le retour au pouvoir des Démocrates annonçait alors une forme de retour à la normale et de stabilité après quatre années d’une Présidence Trump émaillée de volte-face et d’initiatives imprévisibles. Les défis qui s’ouvraient au Président nouvellement élu étaient nombreux : réconcilier une population fracturée, contenir une crise sanitaire violente, préserver la bonne santé de l’économie, et restaurer la confiance des partenaires traditionnels de Washington. Pour cela, il bénéficiait d’atouts majeurs : une forte popularité (chez les démocrates du moins), une majorité au Congrès et une administration compétente.

Douze mois après, les premiers échecs et obstacles sont néanmoins apparus. Les élections de mi-mandat apparaissent à cet égard une échéance tout aussi déterminante qu’incertaine. Dès lors, quel bilan tirer de cette première année de mandat et quelles sont les perspectives qui s’offrent pour les 3 années à venir à celui qui annonçait déjà en décembre vouloir se présenter à sa propre réélection ?

La Fondation Prospective et Innovation s’est employée à analyser les interrogations qui pèsent sur l’avenir d’une Présidence dont la réussite sera déterminante pour la plus grande démocratie du monde. Animé par Jean-Pierre RAFFARIN, ancien Premier ministre, Président de la Fondation, le webinaire « Un an de Présidence Biden : et après ? » vient clôturer une année de réflexion et de suivi de cette première année de mandat. A cette occasion, Clémence LANDERS, Policy Fellow au Center for Global Development, Hall GARDNER, Professeur à l’American University of Paris, et Olivier PITON, Avocat au barreau de Paris et de Washington, Conseiller pour les Français de l’Étranger (États-Unis) ont pu livrer leur analyse.

 

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Un moment de grâce éphémère

Avec plus de 81 millions de voix à l’élection présidentielle de 2020, Joe Biden est le président élu ayant recueilli le plus de suffrages de l’Histoire des Etats-Unis. C’est donc par une participation électorale sans précédent que les Américains ont décidé de clore le mandat de Donald Trump. Biden est alors arrivé au pouvoir le vent en poupe, sa popularité représentant un capital politique conséquent. Face à l’urgence économique posée par la pandémie, le nouveau Président a décidé d’une réponse ambitieuse, évitant par-là de commettre la même erreur qu’en 2009, où le plan de relance trop timide avait été critiqué par les keynésiens comme un facteur d’aggravation des difficultés. On ne saurait accuser le Président Biden d’avoir fait trop peu : après un plan d’urgence de 1 900 milliards de dollars en mars 2021 pour faire face aux conséquences de la Covid-19, c’est un projet d’investissement de 1 200 milliards dans les infrastructures qui a été adopté par la Chambre des représentants en novembre de la même année (censé être complété par un Build Back Better Act de 1 750 milliards actuellement bloqué au Sénat), en attendant le troisième volet de réformes en matière d’éducation et de santé.

En ayant fait de la relance de l’économie sa priorité, Biden s’est donc montré fidèle à son programme d’orientation sociale. Avec une administration représentative de la société et unanimement considérée comme compétente, la dynamique semblait lancée. Mais 2021 fut une année en dent de scie pour le Président, et sa popularité s’est rapidement érodée face à l’exercice exigeant et difficile du pouvoir.

 

Une société au bord de l’implosion

La première difficulté à laquelle Joe Biden s’est heurté est sans aucun doute une société particulièrement fracturée. Son mandat n’avait d’ailleurs pas encore débuté que le Capitole, temple de la démocratie nationale, était pris d’assaut par des militants trumpistes survoltés (cf. note de lecture « Le Chaos de la démocratie américaine »). Et si le Président bénéficiait d’une forte côte de popularité parmi les Démocrates, c’était sans compter sur la plus faible qu’un chef d’Etat puisse avoir auprès des Républicains. Cette défiance de toute une partie de l’Amérique s’est ainsi retrouvée dans la tendance anti-vax particulièrement vivace qui a affaibli sa gestion jusqu’à là réussie de la crise sanitaire. Résultat : à peine 62% de la population éligible est vaccinée, une proportion qui stagne avec ce que cela implique en termes de saturation du système de santé.

Cette fracture politique, économique et raciale qui traverse l’Amérique pousse même certains observateurs à parler d’une « nouvelle Guerre de Sécession » : entre les Démocrates et les Républicains, entre les zones côtières et le centre rural. Joe Biden n’est pas responsable de ce « mal américain », mais n’a pas réussi non plus à l’enrayer. La progression des thèses wokistes, terme nébuleux pour désigner les nouveaux tenants du progressisme, ne fait qu’accentuer l’hystérisation du débat et l’excommunication mutuelle.

Cela ne sera pas sans conséquence sur les élections à mi-mandat de novembre 2022. Joe Biden risque de perdre à cette occasion une majorité déjà fragile. Au Sénat, la voix de la Vice-Présidente Kamala Harris est souvent décisive pour trancher, et à la Chambre des Représentants, l’avance est courte. La perspective d’un Congrès à dominante républicaine représenterait pour Biden un sérieux obstacle à la poursuite de son mandat, annihilant toute capacité à réformer durant les 2 années à venir.

 

Politique étrangère : des symboles contredits par les actes

Pour autant, la défiance croissante à l’égard du Président trouve son origine dans une décision de politique étrangère. Et ce alors que paradoxalement, un consensus bipartisan existe au Congrès sur la position plus ferme que devrait adopter les Etats-Unis à l’égard de ses rivaux. En effet, le retrait désastreux d’Afghanistan, dont l’évacuation en catastrophe de l’aéroport de Kaboul a constitué le symbole, a créé un véritable malaise dans la société américaine et sapé la confiance nationale dans l’administration Biden. Pire, la volonté affichée par celle-ci d’ouvrir un dialogue avec les talibans, ennemis honnis depuis toujours, n’a rien arrangé. Cet évènement coïncide ainsi avec la chute que Joe Biden a connue dans les sondages d’opinion.

L’Europe, puissance alliée traditionnelle, a elle aussi commencé à nourrir des interrogations sur l’orientation de la politique étrangère américaine. Le début du mandat s’annonçait pourtant de bon augure pour la normalisation des relations entre les deux continents, relativement malmenées sous Donald Trump. Le Président Biden a ainsi signé le retour des Etats-Unis dans l’Accord de Paris sur le Climat dès son premier jour à la Maison Blanche, réaffirmé son attachement à l’OTAN, et souligné toute la place que l’UE aurait à occuper dans les discussions avec l’Iran, la Chine ou la Russie. Mais les symboles n’ont pas suffi et les actes n’ont pas suivi. Pire, Joe Biden a semblé reprendre certains des travers unilatéraux de son prédécesseur. La rupture du contrat d’achat de sous-marins par l’Australie à la France au profit des Etats-Unis en est l’exemple, suscitant à Paris le sentiment que la coopération n’était pas effective lorsqu’il s’agissait de vente d’armements. Washington se retrouve donc maintenant à la croisée des chemins : la volonté de respecter la parole européenne devra désormais devenir réalité si l’Oncle Sam souhaite regagner la confiance de ses alliés.

 

« America is back »

Une rupture apparaît toutefois dans la doctrine internationale des Etats-Unis quant à la gouvernance mondiale. A l’unilatéralisme imprévisible de son prédécesseur, Joe Biden a préféré opérer un retour à la discussion avec les grandes puissances de ce monde. Volonté d’aboutir à un nouvel accord sur le nucléaire iranien, dialogue avec la Chine malgré un soutien réaffirmé à Taiwan, renouvellement d’un traité sur les armes stratégiques avec la Russie tout en promettant des sanctions plus fortes si elle venait à envahir l’Ukraine : « America is back » est en substance le message délivré aux puissances rivales. L’écueil d’une telle stratégie réside toutefois dans les accusations de faiblesse faites à Joe Biden, et la loi adoptée par le Congrès sur la Défense nationale (NDDA) pour l’année 2022 restreint sensiblement la capacité de l’exécutif vis-à-vis de Pékin ou Moscou.

Dès lors, une interrogation émerge : les Etats-Unis vont-ils chercher à imposer une paix mondiale par la force en s’appuyant sur un nombre restreint de partenaires comme l’OTAN, le Japon, l’Australie et l’Inde, ou vont-ils réussir à développer une diplomatie pluraliste suffisamment flexible et large pour contrer l’émergence de puissances illibérales ? Si le multilatéralisme apparaît plus que jamais une nécessité morale et politique, tout l’enjeu réside dans la création d’outils qui en seraient le ferment. L’institution de groupes de contact entre Etats-Unis et UE dans certaines régions sensibles apparaît à cet égard une option intéressante. Un tel effort permettrait notamment de prévenir des migrations qui alimentent directement les passions xénophobes et nationalistes en Occident et qui menacent ainsi le socle de la démocratie libérale. L’Afrique serait un de ces terrains de coopération par excellence. Mais la constitution d’un axe Etats-Unis/UE ne devra pas se faire contre la Russie et la Chine : au contraire, ces deux puissances devront être pleinement intégrées à ces « communautés régionales de paix et de développement durable » si on souhaite leur succès.

 

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La Présidence Biden présente un bilan en demi-teinte et un avenir incertain, sur le plan intérieur comme international. L’Europe doit alors renouer avec une position d’équilibre, mêlant partenariat stratégique avec son vieil allié et ouverture au dialogue avec tous. Avec les Etats-Unis, le Vieux Continent aura toute sa part à prendre au front des démocraties initié par Biden pour combattre une montée en puissance de la violence. Avec la Chine, il devra bâtir une approche partagée du développement du continent africain. Cette « souveraineté solidaire » semble dessiner deux perspectives d’avenir à l’Europe pour consolider son rôle de pivot de la gouvernance mondiale.

 

CB

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