Téléchargement
- Vladimir Poutine a remporté l’élection présidentielle et perpétue sa mainmise sans partage sur le pouvoir.
- A ce jour, toute concurrence a été éliminée, que ce soit par le biais de déclarations d’inégalité, d’exils ou d’assassinats.
- C’est désormais la perspective des élections américaines qui inquiète, alors que Donald Trump a de nombreuses ressemblances avec Poutine.
Sans surprise, Vladimir Poutine a donc remporté haut la main les présidentielles russes des 15-17 mars dernier, et même battant son propre record de 2018, avec 87,32% des suffrages exprimés et une participation de 74,22%. Il faut dire que toutes les précautions avaient été prises pour assurer cette réussite.
Déjà, en amont, le vide des opposants et autres compétiteurs possiblement menaçants avait été consciencieusement effectué. Autour des opérations électorales elles-mêmes, on n’a pas manqué de prendre toutes les mesures utiles pour doper la participation sous forme de pressions de toute nature exercée sur les citoyens dépendants de l’État (fonctionnaires, étudiants, soldats, retraités, employés des groupes publics, etc.). Dans les bureaux de vote, en la quasi-absence d’observateurs indépendants, le bourrage d’urnes pendant la nuit n’a présenté aucune difficulté. Au lendemain du scrutin, les responsables de collectivités (administrations, entreprises, écoles, etc.) n’ont pas manqué de faire rapport aux autorités précisant qui a voté et quand. C’est donc un triomphe facile qui permet au maître du Kremlin de se prévaloir du soutien des Russes – peut-être plus résigné qu’enthousiaste, mais en tout cas massif – à sa politique de suppression des libertés et à son agression en Ukraine.
C’est comme une manière de parachever le monde-Potemkine que Vladimir Poutine se construit à lui-même, un monde d’où il a éliminé tout ce qu’il ne veut pas voir : les compétiteurs électoraux interdits de candidature, les opposants assassinés, les dissidents exilés en masse et bientôt, espère-t-il, les Ukrainiens asservis. Les témoins racontent qu’à la conférence de presse tenue dans la nuit de dimanche à lundi, il est apparu dans un état de grande exaltation, comme s’il se sentait comblé d’avoir réussi à faire tenir cette pièce importante de son monde alternatif et, finalement, comme s’il était convaincu de la réalité objective de cette victoire dont il était pourtant lui-même l’organisateur.
On dirait que cette manière de croire à ses propres fantasmes est en train de se répandre autour du monde. Déjà, à l’époque de la guerre d’Irak, les néoconservateurs américains triomphants expliquaient que les Etats-Unis, au niveau de puissance auquel ils étaient parvenus, étaient désormais capables de « créer de la vérité », une réalité virtuelle qui était plus importante que la réalité réelle puisque « c’était celle à laquelle voulaient croire la grande majorité des Américains ». Aujourd’hui, Vladimir Poutine évolue dans ce monde rêvé où la fantasmagorie tient lieu de réalité et finit par s’y substituer à ses propres yeux.
Il n’est pas le seul de son espèce. Donald Trump donne dans le même travers. Il répète sans ciller des contre-vérités qu’il parvient à imposer dans les esprits à force de menacer les élus républicains de ruiner leur avenir politique s’ils refusent de s’y conformer. Tout cela, y compris ces pratiques de chef de gang, où la loyauté prime tout, est bien dans la manière de Vladimir Poutine. Aussi bien, les deux larrons ne manquent pas de se faire mutuellement la courte échelle. Ici, Donald Trump bloque l’approvisionnement en munitions de l’armée ukrainienne et donne carte blanche à Vladimir Poutine pour faire son affaire des pays de l’OTAN qui ne cotiseraient pas suffisamment à la défense de l’Occident. Là, Vladimir Poutine veille à ce que les nouveaux manuels d’histoire destinés aux écoliers de Russie consacrent bien la thèse que l’élection présidentielle de 2020 a été volée à Donald Trump. Et naturellement, attentif à ne pas compromettre son complice, Vladimir Poutine déclare à qui veut l’entendre que son candidat préféré dans la course à la Maison Blanche, n’est autre que… Jo Biden.
Entre les deux, néanmoins, les différences sont grandes. Par bonheur à la décharge de l’Américain, ses excès en matière d’autoritarisme font tout de même très petite figure par rapport à ceux de son partenaire russe. En revanche, s’agissant des signaux qu’ils s’échangent régulièrement, ceux-ci sont considérablement déséquilibrés dans l’autre sens : quelques gentillesses d’un côté, des abandons majeurs de l’autre. De ce point de vue, le maître du Kremlin, s’il a la tête dans les nuages, garde les deux pieds sur terre. En fait, avec les présidentielles américaines de novembre prochain, il tient entre ses mains une occasion extraordinaire, rien moins qu’une occasion historique, de porter un coup, peut-être fatal, à la prépondérance occidentale qui a marqué les derniers siècles. Car derrière l’Ukraine, il y a la fiabilité des Etats-Unis, la confiance que l’on peut continuer d’entretenir sur leur capacité à tenir leurs engagements en Europe, en Asie et dans le monde entier, leur disposition à soutenir, tant bien que mal, l’organisation d’un « monde fondé sur des règles » tel qu’elle a été établie au lendemain de la deuxième Guerre Mondiale. Bref, derrière l’Ukraine, se joue la ratification ou non de l’idée que l’Occident en général et les États-Unis en particulier sont bien en phase de déclin irréversible.
C’est peut-être ce que Vladimir Poutine avait à l’esprit lorsqu’il a éprouvé cette exaltation que les témoins ont remarquée lors de la conférence de presse nocturne du 18 mars. C’est vraisemblablement aussi à quoi pensait le président chinois Xi Jinping lorsqu’il a déclaré que la réélection de Poutine signifiait que « la Russie serait certainement en mesure d’accomplir de plus grandes réalisations ».
Par Philippe COSTE
Ancien Ambassadeur
POUR ALLER PLUS LOIN :
Relire – 2024, l’année des élections et des rebondissements géopolitiques