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Le Forum économique mondial, mieux connu sous le nom de « Forum de Davos » en raison du fait qu’il a été organisé pour la première fois dans la ville de Davos au cœur des Alpes suisses, a été fondé en 1971 par l’économiste helvète Klaus Schwab. Son but était le suivant : rassembler des leaders du monde entier afin qu’ils traitent des affaires économiques et politiques majeures, ainsi que des défis auxquels l’humanité est confrontée. A cette fin des chefs d’État sont conviés, mais aussi des acteurs privés et des membres de la société civile. Le Forum de Davos a ainsi été créé pour favoriser le dialogue entre les différentes parties prenantes de la société, afin d’apporter une réponse collective aux problématiques complexes et globales, telles que les inégalités économiques et le changement climatique, entre autres.
Chaque édition s’accompagne d’annonces phares. En 2024, nous pouvons souligner le lancement du fonds « Timbuktoo », doté d’un milliard de dollars et géré par l’ONU, en vue de soutenir la création d’un réseau d’innovation en Afrique autour de huit pôles panafricains, dont Dakar, Lagos et Nairobi. La Chine a proposé la mise en place d’une initiative collective pour réglementer l’Intelligence Artificielle (IA), dans le prolongement des nombreuses discussions sur les atouts et les risques qu’elle comporte. L’envoyé spécial des États-Unis pour le climat, John Kerry, a plaidé en faveur d’une plus grande contribution du secteur privé à la lutte contre le réchauffement climatique. Dans cette perspective, le président Macron a défendu l’émission de dettes européennes en tant que moyen de financement de la transition verte. Enfin, pour son premier déplacement à l’étranger, le nouveau président argentin Javier Millei a détonné à la tribune en tenant un discours pour le moins surprenant. Loin de l’image habituelle du candidat surexcité, il s’est évertué à faire l’apologie du capitalisme ultralibéral et a tenté de convaincre les puissants d’investir dans son pays, ce à quoi ces derniers ont répondu par de timides acclamations.
Bien que devenu peu à peu incontournable, ce rendez-vous annuel international, ne serait-il toutefois pas devenu obsolète par les temps qui courent ? Le Forum de Davos n’est plus le seul à aborder les fléaux du monde de nos jours. Citons à titre d’exemple l’Assemblée générale du FMI qui s’interroge sur les perspectives peu enchanteresses d’une éventuelle crise de la dette se propageant sur le continent africain suite au défaut de paiement de l’Éthiopie en décembre 2023. En l’espace de trois ans, cet État est le troisième pays d’Afrique à se retrouver dans cette situation, après la Zambie en 2020 et le Ghana en 2022, et d’autres pourraient suivre, comme le Kenya et l’Angola. Malgré l’ampleur des répercussions qui adviendraient si un tel scénario se réalisait, ces sujets n’étaient pourtant pas à l’ordre du jour lors de la 54e édition du Forum de Davos en janvier 2024, placée sous le thème de « Reconstruire la confiance ».
En revanche, la question climatique était au cœur des échanges durant l’évènement, alors qu’elle en était absente il y a encore une décennie, témoignant d’une récente ouverture aux problématiques sociétales. Davos ne serait donc plus seulement un outil de promotion de la mondialisation économique et c’est une évolution majeure, que l’on pourrait comparer à la création du G7 suite au premier choc pétrolier de 1973 ou bien à celle du G20 après la crise financière de 2008. A chaque reprise, il était question de repenser l’architecture des enceintes de gouvernance mondiale au sein desquelles les « pays du Nord » s’organisaient pour gérer une crise après l’autre. Dans un monde aujourd’hui marqué par la « polycrise », fracturé par les conflits armés et la compétition économique, et de plus en plus multipolaire – ou apolaire, c’est selon –, le grand raout de Davos a peut-être besoin d’être réformé pour demeurer pertinent.
En réalité, le modèle de Davos suit les évolutions de notre modèle économique et des problématiques de la mondialisation. Cependant, un tri des sujets à l’agenda est opéré selon les intérêts des participants. En conséquence, le forum est souvent critiqué par de nombreuses ONG qui l’assimilent à un simple lieu d’entente entre les politiques et les milieux économiques, au détriment des plus pauvres et des plus fragiles. De plus, même si le changement climatique s’invite désormais dans les discussions, l’inaction reste de mise.
Cet « aéropage des élites », comme le qualifiait le journaliste Ignacio Ramonet dans un article du Monde diplomatique paru en 1996, permet surtout de mieux connaître les positionnements des grands chefs d’entreprise, au-delà du discours convenu sur des sujets faisant l’unanimité. En effet, qu’en est-il des actions mises en œuvre sur le terrain dès lors que chacun s’est accordé sur la nécessité d’agir au plus vite pour limiter le réchauffement planétaire ? A Davos, il s’agit donc pour les gouvernants de mesurer le pouls de la mondialisation et le niveau de sensibilité des leadeurs économiques aux grands enjeux du moment, tels que la transition écologique, la réindustrialisation, la lutte contre la désinformation ou encore la révolution numérique. De cette façon, les États déterminent dans quelle mesure leurs politiques seront suivies grâce à cet indice de perception et de confiance de l’élite mondiale.
Ce constat n’a rien de très surprenant quand on sait que les dix principales entreprises mondiales sont aujourd’hui plus riches que les 180 pays les moins fortunés et que 1% des plus riches engrangent près de la moitié des actifs financiers mondiaux. De même, la fortune des milliardaires a cru trois plus vite que l’inflation depuis 2020, passant de 405 à 869 milliards de dollars, soit une hausse de l’ordre de 14 milliards de dollars par heure, comme l’expliquait Oxfam dans un récent rapport intitulé « Multinationales et inégalités multiples ». Systématiquement présents au Forum de Davos, ces acteurs pèsent considérablement sur le pouvoir décisionnel économique.
Par ailleurs, depuis 2019 on observe un relatif désamour des chefs d’États occidentaux pour le Forum de Davos, et en particulier de la France. Dans le même temps, des puissances moyennes tirent profit de cette grand-messe pour s’exprimer, à l’instar de l’Inde et de l’Arabie Saoudite. C’est en quelque sorte « un rééquilibrage du monde » qui se joue dans cette enceinte, comme le faisait remarquer le président de Business France, Pascal Cagni, lors d’une interview à Davos en janvier dernier.
S’agissant de ce rééquilibrage, il convient d’évoquer le pendant asiatique du Forum de Davos, à savoir le Forum de Boao, dont la conférence annuelle se tient à Hainan aux alentours du mois de mars. Initialement créé en 2001 par 25 États asiatiques, ce forum vise à promouvoir la coopération économique entre pays d’Asie ainsi qu’avec d’autres dans le monde. En somme, sa raison d’être est la même que celle du Forum de Davos mais à l’échelle de l’Asie, qui est aujourd’hui devenue le moteur de la croissance économique mondiale – et ce même malgré un ralentissement annoncé par la Banque mondiale pour les années à venir. Certes, le Forum de Boao reste encore largement perçu comme se concentrant surtout sur les problématiques asiatiques, contrairement à Davos dont la portée géographique est davantage mondiale. Néanmoins, il participe au rééquilibrage des forces dans le nouvel ordre mondial qui émerge. Bien que moins connu en Occident, le Boao gagne peu à peu une certaine légitimité en tant que plate-forme de discussion sur les enjeux mondiaux et tend à compléter le Davos.
En conclusion, le Forum de Davos demeure un lieu d’influence incontournable, mais il n’a plus la même aura que par le passé. C’est un lieu de rencontre de gens de pouvoir dont l’issue déçoit de plus en plus souvent, car les débats n’aboutissent que rarement à des actions tangibles pour résoudre les problèmes mondiaux discutés. Ce constat met également en lumière le manque de gouvernance multilatérale sur ces sujets. En somme, Davos fait figure de « baromètre des sensibilités » des puissants quant à des enjeux majeurs mais néanmoins triés sur le volet selon l’intérêt du moment.
Les prises de position quant à son rôle sont souvent contrastées, les uns dénonçant son pouvoir tandis que ses partisans tendent plutôt à le minimiser. Il demeure toutefois une échelle de gouvernance pertinente pour penser la mondialisation dans le contexte de polycrise actuel, grâce aux échanges d’idées qu’il permet depuis plus de cinquante ans, mais il ne représente plus un espace unique dans le « Concert des Puissants » depuis l’émergence de nouvelles enceintes décisionnelles internationales (COP, G7, G20, Boao Forum, etc.).
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