FPI
Publications

#Etats-Unis, Europe, Monde, Multilatéralisme

BILLET D’ACTUALITE : Sommet de l’OTAN (14 juin 2021)

17 juin 2021

Par Philippe COSTE, Ancien Ambassadeur

A mesure que la séquence G7, OTAN, sommet Biden-Poutine se met en place, elle fait apparaître à l’évidence que l’heure est à resserrer les rangs face à une menace croissante. Le sommet de l’Alliance Atlantique, tenu lundi, a confirmé que telle était bien l’intention des Etats-Unis et que les alliés, bien qu’avec un empressement variable, se laissaient en fait enrôler.

Resserrer les rangs signifie deux choses : d’une part renforcer la cohésion du groupe ; d’autre part, désigner précisément les objectifs.

La cohésion de l’Alliance a clairement été mise à mal durant les années Trump : récriminations à propos du « partage du fardeau », retrait unilatéral de troupes américaines d’Allemagne, tendance à la débandade parmi les alliés, du fait notamment du cavalier seul de la Turquie… A la consternation de beaucoup d’Européens, l’ancien président avait même proclamé qu’elle était devenue « obsolète ». Soucieux de réparer les pots cassés, Joe Biden a multiplié les messages rassurants. Lors de son entretien bilatéral de vendredi dernier avec Boris Johnson, il avait déjà eu l’occasion de qualifier l’Alliance « d’indestructible ». Il a enfoncé le clou lundi à Bruxelles en déclarant « sacré » le fameux article 5 du traité de Washington, l’article-clé qui considère qu’une attaque contre l’un des alliés est une attaque contre tous. C’est une déclinaison du message général : « l’Amérique est de retour » ; ce qui vaut dans tous les domaines vaut bien sûr pour l’OTAN. Le très touffu communiqué publié à l’issue du sommet reprend largement, et consacre, cette idée.

Une fois la cohésion restaurée, il s’agissait de mettre à jour les objectifs. La dernière fois que l’Organisation a établi un plan stratégique – c’était en 2010 – la Russie était considérée comme partenaire et la Chine n’était même pas mentionnée. Les choses ont bien changé. D’abord parce que l’environnement de sécurité a eu tendance à se dégrader, ne serait-ce qu’en raison de phénomènes aussi généraux que la poursuite de la prolifération nucléaire, le dérèglement climatique, l’évolution extrêmement rapide des technologies ou la pandémie de COVID-19. Mais plus encore parce que la posture internationale de la Russie et de la Chine a changé.

Le communiqué s’étend en grand détail sur les activités déstabilisatrices de la Russie : modernisation, perfectionnement, diversification de son arsenal nucléaire, activités hybrides intensifiées, notamment en recourant à des intermédiaires, en fermant les yeux sur la cyber malveillance initié depuis son sol, en pratiquant la désinformation et l’intimidation par des discours agressifs, des provocations, des violations mineures mais répétées des espaces aériens ou des eaux territoriales de ses voisins.

Mais la grande nouveauté concerne la Chine. Lors de sa précédente réunion, l’OTAN avait publié une prudente déclaration se bornant à mentionner « les opportunités et défis » que présentait ce pays. Cette fois-ci, le communiqué relève le manque de transparence, l’opacité avec laquelle son appareil militaire est modernisé, le recours fréquent à la désinformation, les politiques coercitives. Il note surtout que Pékin accroît rapidement son arsenal nucléaire, se dotant d’un plus grand nombre d’ogives et de vecteurs sophistiqués pour établir une triade nucléaire. Il constate enfin que la Chine coopère par ailleurs avec la Russie dans le domaine militaire, notamment en participant à des exercices russes dans la zone euro-atlantique.

La vigueur de la rédaction donne la mesure de la détérioration des relations intervenue entre l’Ouest et Pékin dans les derniers dix-huit mois. Les Européens n’ont certes pas manqué, en particulier au cours des contacts de presse qui ont précédé et suivi le sommet de faire valoir leurs différences, mais la nouveauté est bien là. Formellement, le sommet de l’OTAN et celui du G7 qui a précédé étaient destinés à préparer la rencontre Biden-Poutine mais plus profondément, elles visent surtout à s’organiser face à la Chine. L’arrière-pensée chinoise est partout : dans les décisions américaines de faire la paix avec les Européens sur le gazoduc Nord-Stream 2 ou sur les contentieux Airbus-Boeing ou encore sur la querelle du partage du fardeau, dans celle de se retirer d’Afghanistan et comme dans l’attention redoublée portée aux questions technologiques et à l’utilisation de l’espace.

La priorité que les Etats-Unis donnent désormais à la Chine signifie aussi que les Européens doivent se préparer à prendre davantage en charge leurs propres affaires. La pérennité de l’Alliance a été célébrée mais la continuité retrouvée n’empêche pas la poursuite du changement. 

 

Philippe COSTE, Ancien Ambassadeur

LIRE AUSSI : 

BILLET D’ACTUALITE : SOMMET DU G7 EN CORNOUAILLES, 11-13 juin 2021

X