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#Etats-Unis, Europe, Multilatéralisme

SOMMETS D’ÉTÉ (OTAN-UKRAINE)

11 août 2023

BILLET D'ACTUALITE par Philippe COSTE, Ancien Ambassadeur

Conseil Européen des 29 et 30 juin 2023 et Sommet de l’OTAN des 11 et 12 juillet 2023

 

Dans l’agenda international des pays occidentaux, l’Ukraine aura été la grande affaire de ce début d’été. Elle a dominé le Conseil Européen des 29 et 30 juin à Bruxelles et plus encore le Sommet de l’OTAN des 11 et 12 juillet à Vilnius, au point que le premier pourrait presque passer, à certains égards, pour un tour de chauffe préparatoire au second. Au total, ce qui se dégage de ces réunions, c’est l’unité renforcée des pays concernés et un soutien de tous à l’Ukraine, certes impressionnant à court terme, mais qui reste encore flou s’agissant de l’avenir plus éloigné.

L’essentiel des débats du Sommet de l’OTAN s’est en fait concentré autour d’une seule et même question : quelle perspective d’adhésion allait-on donner à l’Ukraine ? Cette polarisation a occulté un autre aspect très remarquable de la situation actuelle, à savoir la cohésion retrouvée de l’alliance. Celle-ci a réitéré son engagement « à toute épreuve » à défendre chaque centimètre carré de son territoire, réaffirmé sa stratégie nucléaire, adopté des plans de défense pour toutes les régions qui la composent. Elle s’est engagée une fois de plus à ce que chaque État membre consacre au moins 2 % de son PIB à la défense et a relevé un large éventail de défis en matière de sécurité. La Finlande a été accueillie en tant que nouveau membre. Le processus de ratification de la Suède devrait être achevé prochainement. Les membres de l’OTAN se sont également engagés à renforcer leur flanc oriental en réponse à l’agression russe. Le développement le plus positif est peut-être le réalignement de la Turquie sur le reste de ses alliés. Recep Tayyip Erdoğan a cédé sur ses objections à la ratification de l’adhésion de la Suède, s’est prononcé en faveur de l’admission de l’Ukraine, a approuvé de nouvelles expéditions de drones Bayraktar vers ce pays et a conclu un accord avec les États-Unis pour l’acquisition de F-16. Tous ces développements témoignent d’une OTAN plus unie et plus capable de défendre ses États membres qu’elle ne l’avait été depuis des années.

Les deux réunions, celle des Vingt-Sept et celle des Trente et Un, ont aussi fourni l’occasion de faire le point sur toutes les marques de solidarité que ces deux ensembles ont multiplié à l’égard de l’Ukraine. Aide civile, aide humanitaire, aide militaire, tout compris, les pays de l’UE et de l’OTAN ont su mobiliser en urgence la somme considérable de 170 Mds $ en faveur de ce pays en 500 jours de guerre. Une somme qui, soit dit entre parenthèse, est perçue par beaucoup de pays en développement, lorsqu’ils la comparent à la maigre assistance qu’ils reçoivent des mêmes donateurs, comme un signe de plus du double standard et de l’hypocrisie des Occidentaux. Quoi qu’il en soit, pour la suite, l’Union européenne s’est engagée à continuer de « fournir un soutien financier, économique, humanitaire, militaire et diplomatique fort à l’Ukraine et à sa population aussi longtemps qu’il le faudra ». Quant à l’OTAN, elle s’est engagée sur la fourniture de « matériel militaire moderne, dans les domaines terrestre, aérien et maritime, la formation des forces ukrainiennes, le partage de renseignements et l’assistance en matière de cyberdéfense ».

Sur le point crucial du Sommet de Vilnius, celui des perspectives d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, tous les Etats conviennent que l’opération n’est pas possible tant que la guerre se poursuit puisqu’elle reviendrait à entraîner toute l’alliance dans le conflit. Du moins l’Ukraine, soutenue par bon nombre d’Etats membres – la Pologne et les Etats baltes mais aussi le Royaume-Uni et la France – comptait que la voie serait tracée avec un minimum de précision. Il a fallu en rabattre. L’OTAN n’a offert aucune assurance au-delà de ce qu’elle avait déclaré en 2008, lorsqu’elle avait affirmé que l’Ukraine deviendrait membre un jour. Cette fois, elle s’est seulement engagée à inviter l’Ukraine à rejoindre l’alliance « lorsque les alliés seront d’accord et que les conditions seront remplies », mais sans calendrier, ni pour l’invitation, ni pour l’adhésion. Une telle formulation est aussi un aveu : que les alliés ne sont pas d’accord et que les conditions ne sont pas remplies.

En découvrant ce texte, Volodymyr Zelensky a laissé éclater sa déception. « C’est, a-t-il dit, un encouragement donné à Poutine de poursuivre sa terreur ». Significativement, le porte-parole du Kremlin a déclaré de son côté que toute tentative d’accélérer l’admission de l’Ukraine à l’OTAN « pourrait faire courir un grand danger à la sécurité européenne ». C’est précisément tout le contraire. L’Ukraine est devenue l’avant-poste des valeurs européennes. Son combat, en bloquant les velléités expansionnistes de la Russie, protège les alliés européens. Il revient à faire le travail même de l’OTAN. Tout ce qui peut renforcer ce glacis ukrainien renforce donc la sécurité de l’Europe. C’est dire que la formulation, très en retrait, de la déclaration de Vilnius sur l’élargissement de l’alliance à l’Ukraine peut paraître inexplicable. En tout état de cause, s’il est entendu qu’il n’y aura pas d’adhésion tant que la paix n’est pas rétablie, la barre est déjà très haut placée vu la lenteur de la contre-offensive ukrainienne sur le terrain. Alors, pourquoi ?

Cette prudence a été voulue par Washington et Berlin. S’agissant des Etats-Unis, elle s’explique par la ligne que le parti républicain est en train de définir en vue des élections présidentielles de 2024. Beaucoup de ses membres et sympathisants, et Donald Trump en tête, pensent que les alliés européens abusent honteusement de la situation en déléguant la prise en charge de leurs intérêts aux soldats ukrainiens et aux contribuables américains. Ils ont bien l’intention de mettre un terme à ce scandale en interrompant leur aide militaire et en mettant au défi les Européens de prendre le relai. A Vilnius, Joe Biden était bien conscient que des satisfactions supplémentaires données à Kiev par l’OTAN, c’est à dire essentiellement par les Etats-Unis, ne pouvait qu’ajouter de l’eau au moulin des Républicains. Il savait aussi que les promesses faites aujourd’hui n’ont aucune chance d’être tenues si la Maison Blanche devait changer de titulaire. Il a donc choisi de faire profil bas pour mieux tenir la distance.

Ce faisant, il faut bien voir que Joe Biden lance aussi un appel aux Européens : un appel à prendre en charge leur destin beaucoup plus sérieusement…

 

Philippe COSTE

Ancien Ambassadeur

 

Pour aller plus loin: 

Billet d’actualité : LE G7 D’HIROSHIMA (19-20-21 mai 2023)

Billet d’actualité : Ukraine, un an après

Tribune : Hubert Védrine : « L’avenir de l’Europe passe par plus de détermination et de cohérence »

 

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