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L’U.E. et la Chine devraient coopérer pour réduire l’utilisation du charbon en Afrique

29 septembre 2023

Olivier Cazenave, Vice-Président délégué de la Fondation Prospective & Innovation

L’U.E. et la Chine devraient coopérer pour réduire l’utilisation du charbon en Afrique

 

Le charbon sert à produire plus du tiers de l’électricité dans le monde.

Bien que le charbon soit une énergie fossile fort contestée actuellement, force est de constater qu’il reste une énergie d’avenir. Sa production mondiale a en effet doublé depuis 2000[1]. Alors qu’il est très utilisé en Europe centrale, notamment en Pologne, en Allemagne ou en République tchèque, sa production, dans le secteur Asie-Pacifique, a été multipliée par quatre en 30 ans.  Ainsi l’Indonésie, qui n’extrayait pas de charbon avant 2000, en est devenue en 2021 le premier exportateur mondial avec une production de 600 millions de tonnes. L’Australie, quant à elle, est passée de 200 millions de tonnes dans les années 1990 à 500 millions à présent, faisant de ce combustible un pilier de son économie. Aux USA enfin, ce sont quelque 611 millions de tonnes qui ont été extraites en 2022.

Or l’électricité provient pour plus d’un tiers du traitement du charbon. En 1989, les centrales à charbon en produisaient 37,5%. En 2021, ce n’était plus, en pourcentage, que 36%, mais comme la production totale d’électricité a été multipliée par 2,5, la part du charbon y a plus que doublé en 30 ans, ce qui a conduit à la multiplication des centrales thermiques à charbon dans le monde. De ce fait, on peut avancer que l’humanité n’a pas choisi la bonne trajectoire pour ralentir le changement climatique, et, dans ce domaine, l’Union européenne pourrait faire plus dans son propre périmètre ainsi qu’en Afrique.

 

Le charbon en Asie-Pacifique et en Amérique

Le cas de la Chine et de l’Inde est intéressant. Ce sont en effet les deux pays du monde qui produisent et consomment le plus de charbon, et ce sont aussi les champions du développement des énergies renouvelables et de l’énergie nucléaire. La Chine est le premier producteur et installateur mondial de panneaux photovoltaïques. Elle dispose en outre de 54 réacteurs nucléaires et en construit 20 autres. Quant à l’Inde qui a le record de la plus grande centrale solaire du monde, à Bhadla, d’une superficie de 5700 ha et d’une puissance de 2245 MW, équivalent à 1,4 EPR, elle détient 22 réacteurs nucléaires en fonctionnement, 7 étant actuellement en construction. Enfin, l’Inde et la Chine ont développé de grands barrages hydro-électriques sur les fleuves descendant de l’Himalaya. Malgré une volonté certaine de développer au maximum les énergies alternatives, ces deux grands pays ne pourront cependant se passer du charbon à court terme ou même à moyen terme.

Aux Etats-Unis, plus du tiers de l’électricité est obtenue à partir du charbon bien qu’il y existe 99 réacteurs produisant le plus d’électricité nucléaire au monde. Dans le but affiché de diminuer l’utilisation du charbon, l’Inflation Réduction Act qui vient d’y être promulgué affecte 370 milliards de dollars au soutien des industries vertes. Quant aux autres pays d’Amérique, le charbon y représente moins de 5% de leur production d’électricité.

 

Le charbon en Europe

En Europe, alors que la Pologne produit plus de 80% de son électricité à partir du charbon – le record européen -, cette énergie fossile entre pour plus d’un quart de leur production électrique en Bulgarie, au Danemark, en Grèce, aux Pays-Bas, au Portugal, en République tchèque et en Slovénie, pour près de la moitié en Allemagne.

Si la guerre en Ukraine a entraîné la réouverture de centrales à charbon dans plusieurs pays, y compris en France, l’Union européenne a souhaité réagir en soutenant le développement des énergies propres.

Pour « sortir du charbon », plusieurs pays d’Europe, comme l’Allemagne ou le Danemark, se sont ainsi tournés vers l’éolien ou le solaire. Or, comme c’est insuffisant pour répondre à leur besoin, ces énergies étant intermittentes, il conviendrait qu’ils disposent en plus d’une production d’électricité plus permanente et modulable, comme l’hydraulique ou le nucléaire, ce qui les divise profondément, surtout relativement à l’énergie nucléaire. Après la catastrophe de Fukushima de 2011, l’Allemagne et la Lituanie ont décidé d’abandonner le nucléaire ; l’Italie ou la Pologne n’ont aucune centrale nucléaire ; la Finlande a fait le choix du nucléaire pour se passer du charbon. Quant à la France, après avoir fermé en 2020 la centrale nucléaire de Fessenheim, elle a décidé en 2022 de relancer un programme de centrales nucléaires.

Ainsi, pour être efficace, l’Union Européenne doit redéfinir sa politique d’approvisionnement énergétique, ce qui sera impossible tant que les deux plus grandes économies de l’Union, l’Allemagne et la France, ne se seront pas accordées sur le rôle de l’énergie nucléaire, indispensable à ce jour pour diminuer l’utilisation du charbon.

 

Le charbon en Afrique

En Afrique, près de 600 millions d’habitants, sur une population de 1,4 milliard, n’ont pas accès à l’électricité. Pour desservir les 2,5 milliards d’Africains qui devraient peupler le continent en 2050, il faudrait multiplier par 3 la production d’électricité d’ici là. En outre, l’urbanisation aura pour conséquence l’augmentation de la consommation moyenne d’électricité par habitant. Ainsi, en 2050, l’ONU prévoit-il 50 millions d’habitants à Lagos, 35 à Kinshasa et 38 au Caire. Pour satisfaire aux besoins futurs, il faudrait multiplier par 4 ou 5 la production électrique actuelle et construire dans certaines régions des centrales de grande puissance. Or la production actuelle d’électricité en Afrique est de l’ordre de 900 TWh, soit un peu plus que celle de l’Allemagne, une production qui, en Afrique du Sud, au Botswana, au Maroc, au Niger ou au Zimbabwe, dépend pour moitié du charbon. Alors que la capacité de production d’énergie renouvelable a augmenté de 180 000 MW en 2019 dans le monde, elle n’est que de 2000 MW en Afrique (3). Si la trajectoire actuelle n’est pas revue, l’électrification de l’Afrique se fera avec du gaz ou du pétrole et, pour une bonne part, avec du charbon.

 

Le financement de l’électrification en Afrique

La baisse des coûts de production de l’électricité à partir de l’éolien ou du solaire est propice au développement de nombreux petits projets décentralisés de production d’électricité. Si ces projets sont bien adaptés au milieu rural, ils ne permettront cependant pas de répondre aux besoins des 1,2 milliard d’habitants qui peupleront les villes africaines en 2050.

Il est donc de l’intérêt de tous d’aider l’Afrique à développer sa production d’électricité à partir d’énergies renouvelables, d’autant plus que les sources de financement créées sont nombreuses : le Fonds pour l’Energie Durable en Afrique (SEFA) de la Banque Africaine de développement ; l’Initiative de l’Afrique pour les Energies Renouvelables (AREI) à la suite de la COP 21 ; le Power Africa des Etats-Unis ; le Partenariat Afrique-UE pour l’énergie de l’Union européenne… Le Fonds vert pour le climat, la Banque Mondiale, la Banque européenne d’investissements, les crédits de l’Aide Publique au Développement peuvent aussi financer des énergies renouvelables. En fait, ce n’est pas l’argent qui manque, mais les projets bien étudiés et concrets.

 

L’Europe et la Chine peuvent aider l’Afrique dans les énergies renouvelables et le nucléaire

L’Afrique possède des sites propices au développement de grands projets d’énergies renouvelables. Dans la zone équatoriale par exemple, plusieurs fleuves à gros débit peuvent être aménagés pour produire de l’électricité. Dans les déserts du Sahara ou du Kalahari, des centrales photovoltaïques peuvent couvrir des milliers d’hectares. La géothermie dans la zone du Rift africain et le vent en mer ou dans les zones littorales peuvent fournir de grandes quantités d’énergie.

Pour élaborer de tels projets d’envergure, l’Afrique n’a cependant pas assez d’ingénieurs à la différence de l’Europe et de la Chine qui possèdent ces capacités d’ingénieurs. Le plus grand service que ces deux entités pourraient rendre conjointement à l’Afrique serait de proposer à l’Union africaine de créer et de financer ensemble des missions d’ingénieurs africains, européens et chinois pour étudier les projets d’énergies renouvelables les plus pertinents pour l’Afrique. Au bout de deux ans, ces équipes pourraient certainement présenter aux financeurs nationaux et internationaux une dizaine de projets qui auraient un impact régional sur l’approvisionnement en énergie, tout en donnant de l’Afrique une image plus moderne. Parallèlement, la Chine et l’Europe pourraient accueillir des centaines voire des milliers d’ingénieurs africains pour les former aux techniques de l’énergie.

 

La coopération Chine-Europe en Afrique : un pari gagnant-gagnant

La coopération avec la Chine en Afrique permettrait à l’Europe de montrer son attachement à des relations normales avec la Chine sans s’impliquer unilatéralement dans la rivalité qu’elle entretient avec les Etats-Unis. Ce rassemblement de compétences techniques devrait recevoir un fort soutien du grand public.

Pour la Chine, le financement de missions d’ingénierie lui permettrait d’être très présente en Afrique sans engager beaucoup de nouvelles dépenses. La Chine et L’Union européenne pourraient aussi espérer que les grandes entreprises chinoises et européennes soient ensuite bien placées pour réaliser les travaux en bénéficiant des financements nationaux et internationaux.

Pour l’Union Africaine, une coopération avec la Chine et l’Europe comporterait beaucoup d’avantages, en évitant l’écueil d’accusations de néocolonialisme car c’est un domaine d’avenir où elle aurait tout intérêt à montrer qu’elle est pro-active.

L’accès à l’électricité est un facteur essentiel de développement. Le financement conjoint de missions d’ingénierie européenne et chinoise dans les énergies renouvelables servirait un double objectif : contribuer efficacement au développement de l’Afrique et servir les intérêts du monde entier par la diminution de l’utilisation des énergies fossiles en Afrique. Tout le monde y gagnerait donc.

 

 

[1] D’après l’article de Michel Deshaies, professeur de géographie à l’université de Lorraine, dans le n° 117 de la revue Questions internationales éditée par La Documentation française

Olivier Cazenave
Vice-Président délégué
Fondation Prospective & Innovation

 

Pour aller plus loin : 

Brèves d’information – Quel bilan pour l’Accord de Paris de 2015 ? Retour sur le rapport de l’ONU

Brèves d’information – Les énergies renouvelables depuis 2012 : un développement encourageant mais encore insuffisant

Vidéo : Les défis climatiques en Afrique (Bonnes Nouvelles d’Afrique 2021)

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